Classic

Viewing posts tagged Classic

Salif Keita @ Cirque Royal : 02/04/2014

N’en déplaise à ce bon vieux Philippe, il n’était plus seul à régner ce mercredi 2 avril. Car oui, c’est avec un immense honneur que le cirque « royal »  accueille un autre roi, auto-proclamé cette fois. Sa majesté Salif Keita. De ses mots lors de son entrée: « Je suis votre roi, ce sont mes fous (les musiciens) et vous êtes ma cour ». Ce soir-là, il nous ouvre les portes de son royaume au cours d’une tournée acoustique qui se veut intimiste et épurée.

Read More

Fafa Legrain 13/02 @ Rock Classic Bar

Imaginez… Un café dans Bruxelles aux allures mystiques et chaleureuses. De la bonne musique rock en fond sonore berce l’endroit d’une ambiance joyeuse et agréable en attendant que l’artiste invité du jour monte sur scène…

Read More

The Lord of the Rings : The Return of the King

Peter Jackson et son équipe pensaient avoir fait le plus dur au moment de délivrer les Deux Tours mais, une fois de plus, leurs attentes furent écrasées par l’ampleur de la tâche pour le Retour du Roi, conclusion cinématographique d’un projet étalé sur 10 ans. A chaque film ses problèmes, ses complexités, ses retards, ses prises de risque.  S’il s’agit bien du processus de composition qui nous intéresse dans ces articles, les multiples divisions travaillant sur ces (très) longs-métrages sont devenues tellement liées au fur et à mesure de la production, voir même interdépendantes, qu’il est matériellement impossible de ne pas en parler. Contextualisons. La difficulté majeure pour ce dernier opus fut la masse encore plus titanesque de matériel à éditer, travail rendu presque impossible avec quelques mois de tournages supplémentaires pour affiner certaines scènes; autrement dit, pour Howard Shore, il fallait composer de la musique pour des séquences qui n’existaient pas; écrire un soundtrack à trous. Pour pallier cela, il fut invité en Nouvelle-Zélande pour assister à ces semaines de folie (des milliers de mètres de pellicule utilisés par jour, du boulot 24 heures sur 24) et visionner les rushs pour avoir une vision d’ensemble et prendre de l’avance. Autre souci majeur résultant du surplus évoqué : la gestion du temps qui fut totalement chaotique, à tel point que toute la post-production fut terminée quelques minutes avant la date butoire de remise pour la distribution. Le résultat le plus visible et surtout, dans notre cas, audible à l’intérieur du film, c’est le nombre de chansons écrites pendant le tournage par les scénaristes et même par les acteurs (on en reparlera plus tard) mais c’est aussi la très grande réutilisation thématique dans la structure générale d’où l’importance des variations. Enfin, point de vue organisation, le squelette narratif du récit s’est élargi et complexifié; on suit 5 fils rouges principaux dans une immense variété de lieux et d’émotions; musicalement cela représente un challenge de diversification au sein d’une globalité logique s’inscrivant, qui plus est, dans une suite ordonnée. Gardez bien à l’esprit ces contraintes , vous apprécierez mieux le génie créatif de tous les artistes qui, de près ou de loin, ont apporté leur talent et leur travail à cette trilogie. Sans plus attendre, plongeons-nous, une dernière fois, dans cet univers si particulier, celui de la Terre du Milieu, son ambiance, sa magie, sa musique.
Action.Le premier plan est un zoom sur un ver de terre qu’un hobbit du fleuve dépose délicatement sur le hameçon de sa canne à pêche. Parfait contrepied que d’ouvrir ce qui est à présent devenu une gigantesque production, une industrie, par quelque chose d’aussi simple, presque anecdoctique. Ce hobbit, c’est Sméagol, 500 ans plus jeune, accompagné de son meilleur ami Déagol; on ouvre donc sur un flashback qui approfondit la relation d’amour/haine que Gollum entretient avec lui-même et qui expose la violence des attractions et des effets de l’anneau (2 de ses thèmes, ou voix, interviennent dès la première séquence, tous les événements de la Terre du Milieu sont conditionnés par ce “personnage”) sur cette créature empoisonnée par la corruption et le mal. Mélodiquement les grands motifs du Mordor écrasent très vite ce prélude assez bucolique avant de replonger dans le présent avec Frodon et Sam où les couleurs deviennent grises, la structure sinueuse, le danger est partout, la compagnie avance lentement, faiblit, les réserves de nourriture s’amenuisent; on comprend bien l’importance du son ici, un éclat nostalgique surgit dans ce nuage de notes, c’est la condensation altérée de l’hymne de la Communauté. Une modulation concentrée sur les cordes et on repasse, avec finesse, au reste des personnages principaux en visite à Isengard après la victoire finale de l’épisode précédent; le thème du Gondor, nouveau signal clé dans la partition pour cette bande originale, est glissé subtilement au milieu de la transition par un solo de cor. L’esprit de la Comté fait aussi une nouvelle apparition pleine de couleurs et d’espièglerie, on quitte les cuivres pour les bois et des cordes en pizzicato (pincées) comme toile de fond. L’entretien avec Saruman (qui n’existe pas dans la version classique du film) permet au choix du battement en 5/4 affecté à ce personnage de prendre sens, tout ce segment militaire basé sur un rythme “inabouti” est une métaphore de sa puissance éphèmère dont la décadence est mise en abîme par le basson; quelques notes stridentes s’ajoutent à ce tableau corrompu, la scène est remplie de tension et de vice. On retrouve ensuite le Rohan et sa texture si unique, si particulière; on l’aura compris ce début de film reprend l’histoire où on l’avait laissée et démarre lentement par des expositions centrées sur les personnages, leurs rapports, les enjeux et donc la musique souligne ces effets avec un enchevêtrement de thèmes déjà utilisés ou par une présence tout simplement figurative. Il y a un ton doux-amer dans cette portion du soundtrack partagé entre les réjouissances (chanson à boire de Merry et Pippin), la comédie, le suspens pessimiste et la tristesse. Au moment de retrouver le trio principal, une scène très importante voit toute la malice et toute la perversité de Gollum en conflit avec Sam, une situation qui est rendue avec une grande justesse en combinant plusieurs motifs altérés (du Mordor par exemple). C’est donc à partir de cet endroit que, peu à peu, la symphonie revêt une nouvelle fois le manteau lourd qu’elle portait pour le numéro 2 avec quelques accès de violences très courts mais extrêmement intenses (la scène du Palantir) qui permettent de concrétiser, pour le spectateur, les affrontements chaotiques à venir. Les enchaînements sont plus rapides, le découpage en fils rouge s’effectue dans le vif des thèmes employés qui virevoltent et, parfois, se bousculent. Le premier détour focalisateur sur les elfes (en retrait quasi métaphysique par rapport aux événements) amène une grâce inimitable exprimée par des chœurs et des solos de voix féminines; on doit entendre à quel point tout est lié, à quel point chaque peuple est, de près ou de loin, concerné; Arwen apporte un supplément d’âme à cette trilogie, il est vrai, plutôt masculine. Nous sommes à 33 minutes et 33 secondes de musique et un nouveau motif apparaît, celui de Minas Tirith (dont quelques esquisses peuvent être trouvées dans les deux épisodes précédents) qui se colle souvent au thème de Gandalf pour créer, sous forme d’arpèges, des séquences assez vives et parfois longues sonnant comme un souffle héroïque indomptable. A ce stade, avec tous ces moments, toutes ces ambiances déjà établies, chaque nouvelle mélodie étoffe l’ensemble formant, par la même, une variété impressionnante qui, via les miracles stylistiques de Howard Shore, peuvent se succéder sans rupture ni décalage; on a vraiment l’impression d’écouter un opéra en continu. La familiarité qui nous lie aux personnages ainsi qu’aux sonorités typiques soulignées ci-dessus permet de rendre chaque note signifiante et logique augmentant l’effet de catharsis recherché par Peter Jackson; l’immersion est devenue totale grâce à la puissante efficacité du soundtrack. Le début officiel de la guerre avec Sauron, qui s’étale sur 8 minutes (à partir de 40:09), est une réussite à part entière et illustre bien ce que je voulais transmettre en termes de complexité, de diversité et de maîtrise car on y voit un événement crucial qui réunit plusieurs fils rouges en une seule séquence; cette dernière se prolonge avec la scène des feux d’alarme, éloge du pouvoir dramatique propre au cinéma, un art qui peut s’exprimer sans texte avec une simple juxtaposition d’images doublées par une bande-son explicite faisant appel à l’imaginaire collectif et à l’esprit d’association du public. Après cette boucle narrative à la durée surréaliste (on y entend même des extraits de la Moria) qui brosse d’une seule traite l’essentiel des actions en marche, la continuité spatio-temporelle est à nouveau brisée pour un morcellement plus net, on reprend le découpage en parties distinctes pour se recentrer sur les personnages eux-mêmes; si elle conserve une certaine rapidité, cette séparation n’est plus coulée mais bien fragmentée ce qui s’entend de manière distincte. Ainsi, nous voilà auprès des Rohirims, de Théoden, Aragorn et les autres, se préparant pour la guerre, les thèmes du Rohan sont entonnés avec un focus indispensable sur les percussions. Au Royaume du Gondor (et la chute d’Osgiliath) les tonalités sont beaucoup plus ténébreuses, glauques, tendues et enfin guerrières; ici les instruments jouent de manière lourde avec une dichotomie très forte entre les pointes très graves et les lancées suraiguës qui coexistent en permanence. Le sauvetage de Faramir (le frère de Boromir et donc le fils de l’Intendant du Gondor) et de ses cavaliers par Gandalf prouve une fois encore l’intelligence du compositeur qui anime une scène d’action avec un solo vocal très doux tel un rayon de lumière qui perce littéralement tout ce brouhaha cataclysmique pour un effet redoutable. Glissement vers la quête de l’anneau, l’angoisse et le conflit rôdent, quelques répétitions frissonnantes se greffent au contour de base avant de rebasculer sur Pippin qui voit les relations difficiles entre Denethor et son fils; le Seigneur provoque son fils qui décide de se sacrifier en une mission suicide pour récupérer Osgiliath et prouver sa valeur. A ce stade nous pouvons réemboîter sur le sujet de l’implication totale des différents artistes peuplant tous les secteurs de ces films; ici Billy Boyd (Peregrin Took) chante un poème tiré du livre original sur une mélodie composée par ses propres soins la nuit précédant le tournage de cette scène et qu’Howard Shore a habillée sans fioritures inutiles pour en garder l’aspect authentique; le résultat est sidérant. De l’autre côté, Gollum réussit à semer la discordre entre Frodon et Sam, cela se marque par une sorte de cassure dans la musique, des changements inconfortables, l’hymne de la Communauté y est transposé en une version beaucoup plus triste qui joue sur l’éloignement progressif du thème vers quelque chose qui ne lui ressemble plus. A présent chez les hommes du Rohan, après l’installation du motif principal, le soundtrack entre dans une phase contemplative, mystérieuse et inquiétante (l’introduction de la mélodie de l’armée des morts qu’on entendra plus loin) avec une belle gestion du temps qui confond des pauses insouciantes et des vagues mélancoliques; c’est une partie simple mais étoffée par des contrastes (des lithanies épiques suivies de sections dramatiques ou stressantes) qui gênent le spectateur pour mieux le plonger au cœur des doutes, des sentiments complexes et ambigus animant chaque personnage. Aragorn, Legolas et Gimli font alors cavaliers seuls, ils quittent les Rohirim et se rendent au Gondor par un autre chemin, plus risqué. Cette nouvelle portion de musique affublée aux fantômes maudits que la compagnie veut rallier à sa cause se fortifie, on découvre aussi, en contrepoint, un joli solo de flûte appliqué à Merry au milieu du torrent alentour; c’est un ajout sans vrai objectif à grande échelle certes mais sa présence apporte une touche de fraîcheur dans cette partie plus lourde du soundtrack. D’ailleurs le retour à l’angoisse est immédiat, d’abord avec la scène du passage de Dimholt et l’armée des morts, ensuite via le siège terrifiant de Minas Tirith par les bataillons du Mordor qui permet également le retour de grand thèmes épiques (du Gondor principalement) lors de séquences d’action haletantes où se côtoient rythmes endiablés, crescendos furieux et chorales hallucinantes; la deuxième partie du film est enclenchée. Et la musique de lorgner peu à peu sur le terrain de la terreur pétrifiante voir même du film d’horreur (un cinéma que Peter Jackson connaît très bien). En effet, on s’aiguille vers la scène du tunnel qui voit Frodon essayer d’échapper à Shelob, une araignée maléfique géante. C’est une partie absolument fascinante à étudier. D’abord il faut savoir que le réalisateur souffre d’arachnophobie et qu’il tenait à ce que le public soit aussi terrorisé que lui par la créature. Ensuite, la volonté principale de celui-ci était de restituer l’ambiance de ce chapitre crucial de la trilogie où Tolkien décrit l’antre de Shelob comme un endroit hors du temps, tellement sombre, tellement noir que rien ne peut y survivre d’autre que le néant; il s’agit donc d’un lieu sans commune mesure, à part. Pour rendre ça visible, Jackson a tout misé sur la musique d’Howard Shore en lui demandant de réaliser un encart stylistique suffisant pour bien faire sentir qu’on glissait d’un monde fixe à un registre particulier sans pour autant affaiblir toute la structure générale préétablie. Pour ce faire le compositeur a utilisé ses anciennes techniques d’écriture propres aux soundtracks des films de David Cronenberg, son collaborateur attitré dans les années 80. Répétitions progressives de notes très proches sur la gamme, dissonances, sautes et ruptures mélodiques sont les outils employés pour cette séquence délicieusement originale au sein du corpus de base et qui, malgré tout, n’en trahit jamais l’esprit. Seul un intermède par les sons de la Lothlorien (Frodon rêve) offre une éclaircie passagère au sein de l’oeuvre qui se précipite vers les tambours et les cuivres assourdissants du Mordor avant de se repositionner sur Shelob et son combat contre Sam (l’hymne de la Communauté y fait un passage éclair); les transitions s’accélèrent et passent plus souvent par un court silence que précédemment, la segmentation est à son maximum. Du côté de Minas Tirith, Denethor a perdu l’esprit et s’apprête à brûler Faramir, qui plus est la cité est envahie par des marées interminables d’orques (des accompagnements vocaux très doux sont encore choisis comme fond sonore); soudain, Théoden et ses cavaliers arrivent sur le champ de bataille. La charge des Rohirim est un des moments les plus émouvants et spectaculaires de toute la trilogie; le thème du Rohan y est développé, décliné, il explose sous multiples formes d’une puissance incroyable et culmine avec l’entrée du violon hardanger, frissons garantis. A partir de là, les scènes à l’intérieur et à l’extérieur de la ville se déroulent selon un montage en parallèle pour plus de rythme et de tension pendant plus d’un quart d’heure (les champs de Pelennor). Au cours de cet abattage héroïque, il faut signaler une petite scène intimiste où Gandalf et Pippin discutent de la mort et qui vient littéralement couper l’affolement brutal du soundtrack de façon incroyable; cette entaille (un nouveau motif qui sera déterminant par la suite) est absolument parfaite, si délicate et si juste qu’à chaque écoute (ou vision) j’en reste sans voix. Elle précède le duel opposant le chef des Nazgul et Eowyn qu’entrecoupe l’arrivée d’Aragorn et les autres en compagnie de l’armée des morts et la musique se retrouve découpée de manière abrupte pour insister sur ce retournement de situation et la manière dont les événements se bousculent. Après la bataille vient la scène tragique et minimaliste de la mort de Théoden, les chœurs y sont essentiels. Ensuite, une nouvelle scène plutôt triste voit la guérison miraculeuse d’Eowyn et de Faramir, on y entend une chanson magistralement interprétée par Liv Tyler (Arwen). 2 heures et 36 minutes se sont écoulées avant de réellement se focaliser sur l’anneau, Frodon et Sam qui occupent la majorité des scènes jusqu’à la fin, soit à l’écran, soit dans les dialogues des autres personnages principaux ou encore par l’apport, en sous-texte, de petites touches musicales typiques. On observe une montée progressive regroupant, petit à petit, les grands thèmes de la trilogie, les mélangeant quelques fois (surtout ceux des peuples libres en opposition directe aux motifs de Sauron etc); tous ces assemblages de notes sont invariablement triturés, différemment orchestrés, déconstruits ou rallongés d’une façon redoutable qui colle à la dramaturgie de l’histoire. Ce cumul ahurissant de matériel symphonique marque un temps d’arrêt judicieux avant de se déchaîner. A nouveau, un montage alterné nous montre à la fois la bataille de la porte noire et l’escalade de la montagne de feu mais, contrairement à la mécanique choisie plus tôt dans le film pour le même procédé, la musique est suivie, se confond d’un plan à l’autre. Toute cette séquence, qui s’étale sur une bonne vingtaine de minutes, exhibe tout le talent de Howard Shore, son génie atteint des proportions carrément astrales tant il fait preuve de contrôle; chaque décision, chaque éclairage, chaque instrument, chaque détail se recoupe et forme un puzzle mélodique déchirant, lyrique, sensationnel. Les effets fonctionnent, les sentiments débordent, le soundtrack se cabre en tous sens avant un dernier sursaut épique au moment de la destruction de l’anneau. On pense alors avoir tout vécu, mais c’est mal connaître Peter Jackson et son équipe; ils nous offrent des résolutions en cascade pendant presque 40 minutes; le temps nécessaire pour tous les adieux, toutes les conclusions où le motif introduit pendant le dialogue entre Pippin et Gandalf devient central (il est même au centre de la chanson du générique chantée par Annie Lennox). La bande son est arrivée à un seuil de perfection totalement intraduisible en mots ou en phrases et glisse avec une fluidité remarquable d’une scène à l’autre, animée de chansons, de reprises mélodiques, de sections chorales encore plus divines, s’offrant même le luxe de quelques nouveautés (le thème de Rosie par exemple). Rien que le fait d’écrire ces lignes me submerge d’émotion devant une telle réussite non seulement cinématographique mais aussi musicale. Le soundtrack du Seigneur des Anneaux, c’est 5 ans de travail, c’est virtuellement une centaine d’artistes issus des quatre coins du globe, c’est de la passion et de l’amour offerts à un projet qui en valait la peine; il dépasse de loin son cadre filmique, je le considère comme un chef-d’oeuvre indépendant digne des plus grands compositeurs classiques. Cet opéra monumental de 10 heures se termine avec une simplicité confondante, par la plus petite porte imaginable, comme il se doit…
Fin.

The Lord of the Rings : The Two Towers

Après le succès critique et en salle du premier opus, une certaine pression médiatique s’est installée sur l’équipe de post-production de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Quand on demandait à Peter Jackson ce qu’il comptait faire pour le deuxième film, le réalisateur répondait laconiquement : “je dois m’assurer que celui-ci soit meilleur que le numéro un”  ; et on pourrait croire que tout était en sa faveur vu les importantes retombées économiques de l’installation précédente; il n’en fut rien. Outre les attentes, ce sont les délais qui ont posé le plus de problèmes tant logistiques qu’artistiques; la version cinéma complète devait être livrée aux studios moins d’un an après la sortie de La Communauté de l’Anneau; une gageure s’il on considère l’échelle énorme du projet ainsi que les innombrables procédures de montage et d’editing nécessaires. Autrement dit, le travail des sections concernées s’annonçait démesuré pour ne pas dire herculéen. Et, bien entendu, la composition s’est transformé en champ de mines parfaitement chaotique. Petit résumé des complications liées au processus avec cette emphase sur le timing. Tout d’abord, par logique, Howard Shore ne put conserver qu’une petite portion des thèmes utilisés précédemment (seulement un quart d’heure a été réutilisé sans modifications) et ce pour plus de fraîcheur dans le soundtrack. Ensuite, il fallait écrire la bande son pour des scènes qui n’étaient même pas terminées, encore changées ce qui amenait à des variations au jour le jour et à des réenregistrements continus. De plus, ces quelques minutes, une fois animées par la musique, devaient être approuvées par Peter Jackson lui même avant d’être définitivement introduites en salle de mixage pour les incorporer à la bobine finale. Disons que d’une certaine manière le soundtrack ne bénéficiait plus d’une vision globale préétablie en raison de ces délais mais devait s’effectuer en cours de cheminement musical. Le tout (montage, composition, editing, enregistrement, mixage) se déroulait en simultané sur trois continents par des appels longue distance, des vidéo-conférences et nécessitait une dizaine de groupes aux fonctions bien établies qui étaient coordonnés 24 heures sur 24 (une mini-entreprise publique). Dans cet imbroglio technique et managérial où chaque seconde est un enjeu, où le stress est permanent, comment trouver l’inspiration juste ? Comment se distancier d’un quotidien aux détails concrets envahissants pour libérer son intuition et diriger son talent de manière efficace et artistiquement valable ? C’était un nouveau défi à part entière qui complexifiait une démarche à l’origine périlleuse compte tenu du matériel de base, je vise ici les difficultés inhérentes à la fabrication d’un film intermédiaire. Si, en littérature, un numéro 2 fonctionne en transition directe sans la moindre entrave, le même fil conducteur adapté au medium cinématographique ne s’y prête pas du tout, il ressemble à une entreprise inachevée. Car, en effet, on se retrouve, en principe, avec un film sans début ni fin ce qui passe toujours mal à l’écran où on cherche à former une boucle narrative cohérente et qui perd souvent le spectateur surtout si l’on aborde un synopsis aussi compliqué. Dés lors, il s’agira, tant pour les scénaristes que pour les musiciens, de trouver l’équilibre parfait entre l’information, la nouveauté, les développements; il faudra également ajuster la configuration multiple du récit qui se fragmente à partir des Deux Tours puisque la Communauté est totalement dispersée aux quatre coins de la Terre du Milieu. Nous allons voir comment le soundtrack va véritablement jouer ce rôle unificateur et informatif en sous-texte auditif complémentaire du déroulement épisodique de l’action tout en poursuivant son chemin esthétique propre avec un langage toujours plus diversifié.
C’est parti. Le film commence par une courte introduction en flashback montrant la suite du combat entre Gandalf et le Balrog. Quelle manière idéale pour lancer cette histoire avec à la fois le rappel d’un événement crucial de l’épisode précédent et une scène d’action qui captive le spectateur dès les premières minutes (ce qu’on pourrait appeler la recette ou l’effet James Bond). La bande-son peut donc se construire sur un mode plutôt contemplatif ou descriptif en réminiscence d’un segment préétabli. Après cette entrée en matière sur de véritables charbons ardents, deux thèmes essentiels de ce numéro 2 sont esquissés (celui du Rohan d’abord et celui de Gollum) puis l’orientation bifurque sur les tons âpres et lents de la route empruntée par Frodon et Sam (malgré un rappel attendri de la Communauté). Mais revenons sur Gollum/Sméagol; il s’agit du personnage le plus ambigu de l’histoire et sa psychologie est extrêmement intéressante, une bipolarité qui s’exprime par une double signature mélodique qui utilise un cymbalum, un instrument proche de la cithare (faite de mélancolie d’un côté, plutôt sournoise et pernicieuse de l’autre) et à laquelle se greffent quelques notes du thème de l’anneau comme pour signifier un lien immuable entre l’objet et son ancien porteur. Il est souvent répété ou mélangé avec d’autres phrases dans ce tout début de film centré sur la quête principale du récit. Quand on abandonne ce fil rouge pour rejoindre la poursuite effrénée entre les Uruks (qui ont pris Merry et Pippin en otage) et le trio Aragorn, Legolas, Gimli, de l’urgence et de l’intensité dynamisent l’ouverture au quart d’heure par l’intervention du grand thème aventurier qui débouche sur une deuxième courte apparition de celui affublé au Rohan. Ensuite, pour mieux rappeler aux spectateurs les différentes forces en jeu, on se plonge dans le monde des antagonistes avec un panorama symphonique reliant le Mordor et Isengard qui sont mis en parallèle par des croisements de motifs. Accords militaires et rythme agressif reflètent une menace réelle qui pèse sur l’innocence victime focalisée dans la partition par des chœurs langoureux et tristes que circonscrit une violence écrasante. Transition pour Edoras où se mêlent des séquences auditives héroïco-dramatiques et d’autres plus sinistres, on est dans un monde froid, éteint, typiquement wagnérien (ce passage ressemble beaucoup au thème des Nibelungen dans la célèbre quadrilogie opératique du compositeur allemand dont les événements sont très proches de ceux racontés par Tolkien). Après, nous avons droit à une nouvelle scène d’action qui permet de voir toute l’importance de la diversité dans le travail d’orchestration (l’agencement des instruments entre eux) débouchant, par l’entremise d’une transition à peine audible, sur la rencontre entre les cavaliers bannis du Rohan (les Rohirrims) et le trio évoqué précédemment où la tension et la fatalité règnent sur l’ambiance; cet épisode, comprend le public, est résolument sombre et très pessimiste. La musique de Fangorn (la forêt étrange où vivent les Ents) relève plus d’une construction formelle générale que d’une mélodie; pour rendre l’ancienneté et le parfum de cet endroit, le compositeur a beaucoup travaillé sur les percussions et, plus spécifiquement, sur l’utilisation de nombreuses pièces de bois plus ou moins épaisses pour créer une texture très originale et spécifique à laquelle on peut rattacher les images et les concepts sans effort. Quand on retourne, enfin, à la quête de l’anneau, le soundtrack s’assombrit, devient plus lent, plus angoissé et sans prévenir (comme l’histoire) explose de façon assez brutale dans la terreur pour chaque danger, chaque signe, même éloigné, de Sauron et de son pouvoir monstrueux ce qui permet une emphase judicieuse sur le parcours des hobbits et le caractère pratiquement impossible de leur mission. Cette alternance voit jouer en permanence trois thèmes : celui du mal, celui (à deux facettes) de Gollum et celui de la Comté ou de la Communauté pour les hobbits; motifs triturés, changés, rénovés en continu tout au long du récit pour marier fraîcheur et cohérence. Le retour de Gandalf sous une nouvelle forme (le magicien blanc) donne un tonus supplémentaire aux événements marqués par de nombreuses glissades féeriques, doux mélange entre l’ancien son de sa forme grise et des accents plus elfiques pour signifier son appartenance à un rang plus élevé de créatures par son sacrifice dans la Moria. Le motif de Gandalf le Blanc qui parcourt les plaines sur son cheval est l’un de plus beaux et des plus utilisés pour cet opus. On sent une vigueur renouvelée dans l’inspiration d’Howard Shore qui ose encore plus le lyrisme teinté, par endroit, de candeur (concentrée sur les personnages de Merry et Pippin et donc accompagnant les ambiances de Fangorn), sortes de bulles d’air au cœur d’une tragédie épique relativement ténébreuse. Un détour aux côtés des elfes, peuple arrivé à l’hiver de sa civilisation, offre un coin de nostalgie et de profonde tristesse au déroulement de l’action coupé net par l’arrivée de Frodon, Sam et Gollum à la Porte Noire qui voit le même mécanisme expliqué plus haut se mettre en forme avec puissance et subtilité (la gestion musicale du suspens est superbement maîtrisée). Le dépassement de la première heure amène un nouvel instrument à l’orchestre (déjà conséquent), le violon Hardanger de tradition norvégienne associé au Rohan, à son Roi (Théoden) et à ses guerriers; on rencontre cette ethnie avant même sa véritable apparition écranique par l’entremise de la bande son qui l’associe aux vikings et, en quelque sorte, à une version métissée des anglo-saxons archaïques (nous verrons à quel point dans quelques instants). Cependant le thème en question n’est toujours pas pleinement révélé, il ne s’agit en rien d’un jeu de cache-cache mais bien d’une signification esthétique précise car elle met en perspective l’emprisonnement psychique de Théoden dont l’esprit est tombé par l’entremise de Grima, son conseiller au service de Saruman. Une fois passée la scène d’exorcisme du souverain (qui, par ailleurs, voit une belle juxtaposition de motifs antagonistes et de rythmes), son thème est entendu avec une force gigantesque qu’on ne lui connaissait pas ce qui ajoute de l’importance à ce passage et introduit clairement le personnage. L’efficacité de la répétition avec une intensité croissante d’un même enchaînement de notes est idéalement exploitée ici. L’enterrement de Théodred (le fils du roi) qui ne figure pas dans la version cinéma classique du film, permet d’apprécier le souci du détail qu’accordent les artistes à leur travail : en effet on peut y entendre une chanson mortuaire dans la langue fictive créée par Tolkien sur le modèle d’un anglais moyen-âgeux proche de celui utilisé pour la fameuse Légende de Beowulf que psalmodie Eowyn (la nièce du roi); or, et c’est assez technique, la métrique des vers est aussi appliquée dans le fond sonore qui est scandé comme un poème avant de revenir sans lourdeur au corps mélodique principal. Ce dernier évolue comme un voyageur inarrêtable avec une suite de moments posés qu’entrecoupent certaines montées dramatiques ou bien héroïques. Dès que le spectateur pourrait se sentir “à l’abri” ou en perte d’intérêt, la tension est systématiquement au rendez-vous pour redoubler l’excitation par les enjeux, par le danger qui s’exprime en pointes stridentes ou en grondements sourds. S’ajoute alors un autre encart qui nous ramène auprès des héros principaux où le thème plus enjoué de Sméagol prend le pas sur son contrepoint négatif mais reste écrasé de ces couleurs grisâtres entourant les trois voyageurs, empoisonnés qu’ils sont par le pouvoir de l’anneau toujours présent au cœur de la musique; scènes débouchant sur la capture des hobbits par une compagnie du Gondor que dirige Faramir (le frère de Boromir) et qui annonce déjà quelques notes des motifs qui sont associés à cette culture. Sur la route entre Edoras et le Gouffre de Helm, Aragorn vit un long flashback qui approfondit sa relation sentimentale avec Arwen, permettant un retour aux sonorités plus aériennes, plus étiolées du monde elfique qu’on étoffe avec une langueur supplémentaire. L’histoire amoureuse prend une dimension quasi existentielle pendant ces quelques instants où prévalent de sublimes solos féminins accompagnés par des choeurs. Ce segment appelé Evenstar (qui démarre après 1 heure 34) est pratiquement une oeuvre à part entière pour plusieurs raisons : la mélodie est inhabituellement longue (plus de 4 minutes !) et s’articule comme un morceau indépendant, son rythme est beaucoup plus lent, c’est un espace serein, hors du temps (le monde fictif et dégagé du souvenir ou du fantasme); tant de singularités qui en font une réussite brillante ainsi qu’une façon idéale pour conclure gracieusement la première moitié du film. Après, un enchaînement direct conduit à une nouvelle scène d’action qui booste soudainement le soundtrack avec un melting pot thématique saisissant. La bataille terminée, on retourne au ton général plutôt lugubre de l’ensemble. Très intelligemment (depuis l’intermède Arwen), les sonorités de Fondcombe et de la Lothlorien se mêlent de plus en plus au déroulé symphonique; je dis très intelligemment puisque, non-seulement, les elfes auront un rôle essentiel pour le combat final de cet épisode, mais aussi parce que leur extériorité apparente face aux événements par la suite est déjà contrée par la musique (ce sera essentiel pour le dernier film). Et juste au moment où on pourrait croire que l’on stagne dans une seule partie du monde, on retrouve nos hobbits en mauvaise posture via le thème central de l’anneau qui agit comme un point d’appui permettant une combination des motifs Gondor, Mordor, Comté, Gollum remplie de mystère (par endroits on peut parler d’expérience claustrophobique). S’ensuit un très long build-up vers la fameuse séquence climatique des Deux Tours, la bataille du Gouffre de Helm. Cette progression est bardée de moments intimistes, tragiques, pessimistes, héroïques, angoissants; on est dans un véritable ascenseur émotionnel superbement équilibré dans une graduation linéaire surprenante. La dernière partie est construite sur un modèle de va et vient entre les combats, la situation progressivement catastrophique de Frodon et Sam ainsi que le conseil des Ents qui décident s’il doivent, oui ou non, prendre part au conflit. Le tout fonctionne comme un tableau épisodique à trois ouvertures qui se reflète à merveille dans la partition en un crescendo permanent où l’utilisation des chœurs se révèle déterminante. Laissez-moi insister sur trois moments particuliers (les dénouements pour chaque fil rouge du récit) : d’abord l’arrivée de Gandalf et des Rohirrims qui est LE passage le plus épique de tout cet opus; ensuite la marche des Ents qui voit le développement d’un court thème entendu dans la Communauté de l’Anneau (Gandalf le Gris prisonnier en Isengard qui envoie un messager volant prévenir les aigles) et qui devient ici un vrai hymne de la nature; enfin la mise en perspective de l’histoire dans l’histoire à travers le monologue de Sam. L’explosion de motifs à l’orchestration tourbillonnante se recroqueville sur elle-même pour retomber dans l’univers sombre, ce n’est pas la fin de l’histoire et il faut le souligner musicalement pour mieux tenir le spectateur en haleine; on doit entendre qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir, que l’horizon est encore nappé d’une immense incertitude.
A suivre…
!!! Vidéos youtube par film supprimées : l’entièreté du soundtrack de la trilogie dans sa version longue est disponible à la fin du 3e article.

Inside Llewyn Davis

Si vous aimez la musique folk, les histoires d’artistes saugrenues et les années d’après guerre cet article est fait pour vous ! En effet, nous allons traiter d’un film récemment sorti, j’ai nommé Inside Llewyn Davis

Nous traitons ici d’un artiste fictif s’appelant Llewyn Davis, joué par l’excellent Oscar Isaac. Ce looser (ouioui, avec un double o) squatte les canapés de ses amis, de son ex, ainsi que l’habitat de ceux qui apprécient sa musique. Pour survivre, il joue ses quelques titres dans le bien connu Greenwich Village à New York et enregistre à l’occasion en studio en tant que guitariste.
Bref, ce film nous mène à l’épopée d’un artiste tenant à se faire connaître malgré le contexte socio économique difficile… En voici un petit aperçu en image

Plus que l’histoire même (qui ne peut qu’émouvoir tout spectateur de bon film musical), c’est un voyage également musical dans lequel les frères Cohen nous emmènent, celui du monde folk. La bande son est en effet hallucinante et variée.

Nous commencerons par le morceau sur lequel Oscar Isaac joue avec le bien connu Marcus Mumford (des Mumford & Sons), reprise de Dink’s Song de Bob Dylan (son esprit révolté est présent à travers tout le film). Bien que fort mélancolique, on peut s’imaginer facilement le retour des champs de batailles européens d’antan…

Pour continuer cette B.O riche en émotions nous avons choisis la sympathique (et bien plus joyeuse) reprise de Mickey Woods qui est une chant de contestation de guerre que l’on voit Oscar Isaac enregistrer « à l’ancienne » en studio en compagnie de deux musiciens/chanteurs. Vous trouverez ci-bas  un extrait la version originale (moins Rock ‘n Roll que celle du film).

Notons ensuite la présence de Justin Timberlake sur le titre 500 miles. Originalement chanté par Peter, Paul & Mary cette chanson s’avère une des scènes les plus emblématiques du film. En effet, elle reflète à merveille l’ambiance des clubs folk d’autrefois, sombres et rustiques tout en respirant la mélancolie…

Terminons en beauté avec la chanson de fin de film. Emblématique, c’est cette dernière qui rendra au film tout son coté réaliste. En effet, lors de sa dernière représentation dans « son club, Llewyn Davis précède un jeune homme au cheveux crépus portant un chapeau et jouant de l’harmonica. Llewyn ne tarde pas à critiquer ce jeune homme « prétentieux qui ne raconte absolument rien » et « qui n’ a l’air de rien avec sa clope au bec ». Cet aire est pourtant un des plus connus du film. Il s’agit de la crème de la crème, j’ai nommé Farewell

Pour ne pas vous dévoiler toute l’intrigue du film, nous nous en arrêterons là pour ce qui est de la bande son. Nous ne pouvons que vous conseiller d’aller voir le film le plus rapidement possible et d’en apprécier l’essence : La musique pour l’image ou l’image pour la musique ?

The Lord of the Rings : The Fellowship of the Ring

L’adaptation filmique de l’oeuvre monumentale écrite entre 1937 et 1948 par J.R.R. Tolkien (1892-1973) est, sans doute, l’entreprise cinématographique la plus titanesque de ces 30 dernières années (ce qui constitue, probablement, un euphémisme vulgaire). Son principal architecte : Peter Jackson (1961); un fan de la première heure ayant toujours pensé que la trilogie ferait un superbe récit visuel et qui, avec panache,  décide, à la fin des années 90, de s’en charger lui-même. Il écrit, pour ce faire,  un scénario compressé de 90 pages afin de résumer l’essentiel de ces livres totalement inadaptables avec sa compagne, Fran Walsh. Après de nombreux échecs auprès de plusieurs maisons de production, l’argent pour trois films est mis sur la table par New Line Cinema. Le couple de scénaristes engage une troisième personne pour réorganiser et restructurer le scripte, une autre érudite de la Terre du Milieu, Philipa Boyens. Cette collaboration fut un travail de réécriture au quotidien, de perpétuels changements influencés par les autres équipes de tournage et surtout par les acteurs; refaçonnant au jour le jour la conception des scènes pour une adaptation fidèle dans l’esprit, naturelle et vraie à l’écran. De là est née une énorme communauté d’artistes en tous genres qui, par leurs efforts et leur enthousiasme, on donné vie au projet. Le succès fut immédiat, planétaire. Des milliards d’entrées dans les cinémas du monde entier, une pluie interminable de récompenses dont 17 oscars, 11 pour le dernier opus égalant le seuil record établi par Ben-Hur (1959) et Titanic (1997). Et la musique dans tout cela ? Quelle est son implication dans la réussite du produit final ? Bien-sûr, comme tous les grands soundtracks, celui du Seigneur des Anneaux agit comme une métonymie sonore de l’ensemble. Bien-sûr, parmi les 17 oscars obtenus par ces films, on en dénombre 3 pour le compositeur Howard Shore (1946). Alors comment ça marche ? En capturant l’essence de l’oeuvre, avec la collaboration de musiciens talentueux, avec un amour du matériel de base, avec de l’audace et du travail, du travail et encore du travail pour trouver le bon accord, dénicher la bonne mélodie et transformer une bande originale en véritable icône, en oeuvre dépassant son statut de support. C’est à vouloir faire au mieux, c’est dans la recherche honnête de perfection que se trouve la clef de voûte de ces films et de leur musique, l’un des ingrédients majeurs d’une recette folle au goût simplement unique. Alors, évidemment, mon travail ne s’arrête pas là. Faire éloge c’est très (trop) facile quand on apprécie quelque chose. Trouver des arguements est une autre paire de manches. Mais ce n’est pas tant vous convaincre de la perfection d’un tel chef-d’oeuvre qui me préoccupe. Je veux, d’abord et avant tout, vous faire comprendre le mécanisme derrière la beauté. Autrement dit, vous donner les outils, les pourquois de ce qu’on entend. Pas d’obligation contractuelle d’aimer ce que j’aime. Le simple fait que vous lisiez me suffit. Notons que si les 3 films ont été tournés en une seule fois, la musique pour chaque opus procède d’une recherche artistique, certes inscrite dans une continuité relative, mais différente malgré tout (un épisode à la fois encore modifié a posteriori). Donc, je vais m’employer à détailler le soundtrack de chaque partie dans sa version longue, pas seulement les grands thèmes mais bien toutes les ambiances jusqu’à la moindre chanson; cela représente une dizaine d’heures de musique à analyser par documentation (principalement le visionnage d’interviews) et par écoutes successives avant une synthèse que j’espère la plus juste et la plus agréable à lire possible.
On se lance ? La Communauté de l’Anneau établit les personnages, les fils rouges de l’histoire et, du point de vue cinématographique (plus particulièrement sonore dans notre cas) une ambiance, un ton général qui définit la signature de la trilogie. Il fallait créer une partition gigantesque pour donner vie au monde de Tolkien, en constituer un miroir musical; Howard Shore a d’ailleurs souvent lu des passages du livre avant de composer ou même avant d’enregistrer avec l’orchestre. En plus de souligner les émotions à l’écran et de signer musicalement les divers personnages, le principal défi pour ce 1er film était de faire comprendre les nombreuses cultures de cet univers complexe sans trop d’explications; donner de l’information par les thèmes (certaines chansons et poèmes issus du livre ont été transposés pour plus d’authenticité directe). Les langues et les dialectes imaginés par l’auteur, un linguiste averti, furent employés en continu par Shore, offrant une texture supplémentaire au coeur de chaque mélodie. La version cinéma terminée, le compositeur écrivit par la suite une bonne demi-heure supplémentaire pour la version longue qui donne une cohérence opératique à l’ensemble. Le prologue installe en premier lieu, brièvement, la texture musicale de la Lothlorien (peuplée par les elfes de l’Est) avant d’introduire deux thèmes concernant l’anneau de pouvoir, objet symbolisant le mal et personnage à part entière dans la trilogie qui a donc plusieurs voix et, de fait, plusieurs traces, diverses expressions musicales selon qu’on s’attarde sur son côté pervers, sur sa beauté mystique, sur sa puissance, etc. On entend déjà quelques évocations des Nazgûls (9 spectres poursuivant Frodon sans relâche) et du Gondor et même de Gollum qui seront développées par le suite. Howard Shore emploie une technique “inventée” par Wagner (1813-1883) qu’on appelle un Leitmotif, de courts segments en plusieurs notes – ou une petite mélodie – représentant une image particulière et souvent combinés entre eux au début d’une oeuvre importante. On entre ensuite dans le monde des Hobbits avec une série de jolis thèmes (y compris deux chansons, l’une d’entre elles est bissée) qui parlent de la nature, du voyage, de nourriture ou de boisson avec simplicité dans une orientation folk, rurale et celtique (d’où l’utilisation intense des bois et d’instruments “ethniques” comme le violon irlandais) afin de décrire au mieux cette paix idyllique régnant sur la Comté. Une gradation progressivement sombre accompagne ces mélodies, on en découvre de plus nostalgiques aussi. En s’approchant de la première demi-heure, on est certain que la tonalité a bien basculé pour quelque chose d’angoissant, les enjeux se font sentir, on met en place le danger qui gronde à l’abri des regards, caché au Mordor derrière un rideau de montagnes; cela est marqué par des cordes frissonnantes, des voix, les percussions et les cuivres sont utilisés à chaque seconde ou presque. Après 38 minutes et 33 secondes, l’hymne de la Communauté fait sa première apparition complète, ce thème sera présent et modifié sans cesse à travers tous les films; il est suivi par un poème elfique chanté avec peu d’accompagnements et fait de vocalises complexes. Thème plus épique et apparition des nouveaux motifs, ceux d’Isengard et du maître des lieux, Saruman, un magicien corrompu par Sauron (l’ennemi suprême); ces mélodies seront presque toujours accompagnées d’un rythme en 5/4, donnant une forme “incomplète” qui représente l’industrialisation. On note une accélération significative des enchaînements et une dégradation de l’ambiance quasi permanente vers le suspens et le glauque (avec cette unité dynamique et musicale continuellement maintenue). L’histoire avance et se déploie musicalement comme une carte de plus en plus grande, l’échelle du récit est croissante et le soundtrack suit le même chemin. Une chanson elfique murmurée par Aragorn et c’est le retour de la peur glaçante, le retour au militaire (malgré une petite mélodie éthérée magnifique) avant l’introduction sonore d’Arwen (un interlude à voix rempli de lumière). Peu à peu on culmine vers la conclusion incroyable de la première partie du film avec l’arrivée des Hobbits à Fondcombe (où résident les elfes de l’Ouest). Cette partie plus relaxante et plus contemplative de l’oeuvre voit l’utilisation de cordes en arpèges délicats soulignés par les choeurs sublimes enrobés de tendresse figurant le peuple elfique et son environnement raffiné (on entendra également la mélodie qui symbolise la relation amoureuse d’Aragorn et Arwen). Mais le mal n’est jamais loin et son évocation – sa présence au sein de l’anneau dont le sort est discuté par les représentants des royaumes libres de la Terre du Milieu – se fait entendre à coups de tambours, trompettes, clairons et trombones. Insistons également sur l’installation plus claire du thème héroïque lié au Gondor avant un retour éblouissant de l’hymne de la Communauté lorsque le groupe d’aventuriers se constitue. Nous sommes à présent à la moitié du film et les 9 personnages principaux vont se mettre en route pour le Mordor afin de détruire l’anneau, un défi risqué au parcours semé d’embûches toujours plus imposantes, un pari fou, suicidaire; on entend les au-revoirs et puis la mélodie principale connue de tous arrive à son paroxysme. A nouveau plus tendue et plus rythmée, la deuxième partie du soundtrack révèle toute la puissance des Leitmotifs : en effet, la structure générale mise en place, les identifications musicales précisées, le spectateur fait correspondre inconsciemment un thème avec une émotion, un lieu, un personnage et ressent mieux les effets de ce qu’il se passe à l’écran mais aussi de ce qui n’est pas montré (ce qui est crucial); de plus, il est plongé dans un émerveillement éclairé, pointu, lorsqu’un nouveau motif apparaît et bouscule sa routine avant de s’imbriquer, de se mélanger à la toile de fond symphonique de l’ensemble. Toute la partie concernant de près ou de loin la Moria (entre 1 heure 40 et 2 heure 05) est un bijou : haletante, angoissée, sombre, lyrique, épique, déchirante, c’est un summum musical qui s’articule avec une justesse ciselée, une science artistique incroyable. Mention spéciale ici à l’utilisation des chœurs masculins (des chanteurs maoris pour la plupart et même des footballeurs pour les effets rythmiques) en harmonie avec des sonorités nordiques pour représenter le monde hostile, majestueux et archaïque des nains et de leur royaume en ruines : frissons garantis. Les combats successifs offrent une cascade de mélodies captivantes qui dure et dure avant le climax ultime du face à face entre Gandalf et le Balrog, une scène culte au son culte. A présent l’histoire a pris une tournure tragique et plus que jamais la quête est synonyme de périples et de mort. Ainsi, l’arrivée du groupe réduit à 8 personnages au cœur de la Lothlorien et ses étendues d’arbres immenses montre un aspect plus ténébreux des elfes. La splendeur est intacte mais se fait plus inquiétante, un surnaturel et une anxiété qu’Howard Shore illustre avec quelques instruments exotiques, soit africains soit orientaux, comme le rhaita et le sarangi en complément de chants éthérés. On est dans une sorte de pause, la profondeur psychologique des héros est mise à l’épreuve; il en ressort une mélancolie éprouvante mais finement amenée en contraste avec des rappels violents du danger qui vrombit à l’extérieur. Ensuite, la Communauté est à nouveau sur le départ, les adieux à Galadriel (vers 2 heures 20) sont magnifiques, tellement bien écrits, contrebalançant la magie énigmatique des elfes avec l’écho du mal et de l’horreur qui attendent les protagonistes au détour du fleuve en sourdine. Le dernier regard vers la Lothlorien nécessiterait un dictionnaire entier de mots doux afin d’en exprimer la grâce absolue correctement. Ce chapitre tourné, on se détourne des sonorités plus intimistes pour mieux revenir aux motifs essentiels et replacer contextuellement le voyage qui va de mal en pis. Le thème de la Communauté, à chaque réapparition, est amoindri, décousu progressivement, une métaphore du récit à l’écran. On arrive alors au dernier acte, à la désintégration du groupe où Boromir est rendu fou par le pouvoir de l’anneau, l’orchestre s’emballe. S’ensuit un nouveau combat, vertigineux lui aussi, une escalade intense qui se conclut avec drame : en un acte de bravoure inouï, le même Boromir tombe mortellement touché par 3 flèches après s’être battu contre d’incalculables ennemis jusqu’au bout de ses forces pour protéger Merry et Pippin. Il succombe à ses blessures dans les bras d’Aragorn. Ce passage musical est, bien entendu, larmoyant mais sans excès et donc très, très efficace. Les 20 dernières minutes réunissent presque tous les motifs principaux dans un final hallucinant; l’émotion est au rendez-vous tant le surplus de thèmes et de mélodies qui s’entrecroisent appuie chaque détail, souligne toutes les intentions, prend littéralement à la gorge un spectateur abasourdi, presque attaqué par la bande originale. Déchaîné, souple, dense, sérieux, triste, féérique, le soundtrack a trouvé ses lettres de noblesse et se transforme en oeuvre indépendante, énorme et significative pour l’univers de la musique tout entier, sans limites ni frontières. Par cette réussite colossale, Howard Shore donne vie à une épopée cinématographique incroyable et, surtout, confirme à quel point l’art est, sans conteste, le plus beau moyen de communication jamais inventé par l’Homme.
A suivre…
!!! Vidéos youtube par film supprimées : l’entièreté du soundtrack de la trilogie dans sa version longue est disponible à la fin du 3e article.

Thundercat, Flako & Lefto – 01/10 @VK*

Après une bonne journée de réflexion suite à cette escapade musicale, il est grand temps de vous en dire plus sur le déroulement de cet événement. Tout a commencé ce mardi 1er octobre en début de soirée… Sortant du métro Comte de Flandres, au beau milieu de la commune de Molenbeek,  je suis tombé sur ma co-équipière et photographe pour BeatChronic alias Vlora… Nous nous sommes ensuite dirigés vers le numéro 76 de la Rue de l’Ecole, l’endroit même où allait se dérouler cette soirée.

Thundercat

19h30, les portes s’ouvrent et un mouvement de personnes se dirige vers une salle rectangulaire plongée dans un mystère et une pénombre intrigante. La soirée avait donc bel et bien commencé avec notre DJ belge Lefto. La lumière y était fort sombre et une animation Vjing en background m’a quelque peu obligé à me rapprocher davantage; c’était une sorte d’oeil qui se transformait en donut (dédicace aux fans de J Dilla). Une animation qui a maintenu mon cerveau en hypnose, mais qui ne m’a surement pas empêché de savourer les nombreuses pépites que celui-ci nous a concoctées. On a pu y entendre le nouveau son du duo new-yorkais “The Underarchievers” (récemment signé sur le label Brainfeeder), Earl Sweatshirt avec Vince Staples & Casey Veggies pour le son “Hive”, la folie de Danny Brown avec “Blunt After Blunt”, une track chilly chill de “Dirg Gerner“, La collab’ de MF Doom x Earl Sweatshirt x Flying Lotus x Thundercat pour la track “Between Villains”, et bien d’autres encore,…

Thundercat 2

20h15, c’est au tour de notre seul et unique Flako de rentrer en scène. Autant vous dire qu’il n’a plus besoin de se faire une réputation, notre musicien a été influencé par 2 grandes villes européennes (Berlin et Londres) où la musique électronique a déjà été poussée dans les limites les plus inimaginables. La première partie de son show fut fort calme et cosmique notamment avec l’aide d’effets que celui-ci a apposé à sa voix tandis que la deuxième partie s’est révélée beaucoup plus dansante et énergique.

[soundcloud id=’62675085′ width=’100%’]

21h, Lefto assure la transition en présentant un second set avec une sélection encore plus enflammée: un extrait de jazz tiré du légendaire album “The Awakening” du  Ahmad Jamal Trio, les perles du rappeur “Jonwayne” signé sur le label “Stones Throw”, la voix soulful de “Minnie Riperton”, le nouveau projet du groupe californien “The Internet”, “Passin Me By” du groupe The Pharcyde, “Keep It On” de Slum Village,…Bref, le public est resté bien réceptif à toutes ces ondes musicales.

Thundercat 3

21h45, il est à présent temps d’accueillir notre super héros foudroyant. Celui-ci est arrivé sur scène avec un tonnerre d’applaudissements, le public était surexcité à l’idée de voir Stephan Burner. Il était accompagné d’un batteur complètement dingue (son solo nous a tous laissés bouche bée) et d’un pianiste avec de nombreux synthés. On a pu assister à de longues instrumentales plus prenantes les unes que les autres. C’était une Apocalypse musicale regroupant des morceaux tels que : For Love I Come (qui est une reprise de George Duke), Oh Sheit It´s X, Lotus And The Jondy,… Lors de leur départ, les fans étaient tellement chauds que le groupe n’a eu d’autre choix que de revenir sur scène pour un dernier morceau.

Et pour finir, nous avons eu droit à un schéma assez classique de fin: les gens qui ramassent les verres par terre pour choper les dernières bières gratuites au bar, les dernières conversations entre amateurs de musique et les ventes de vinyles avec dédicace de Thundercat. Je n’ai pu résister et m’en suis alors offert un, qui s’avérait être le dernier.  Ce résumé, je l’espère, vous aura fait sentir l’ambiance qui régnait pour cette soirée. Mon mot de fin sera de vous dire que la roue tourne et que la chance peut sourire à chacun de vous, il vous suffit juste de la saisir,…

PEACE, UNITY, LOVE & HAVIN’ FUN

Série « un artiste – un concerto », no. 4 : Respighi ranime le violon

En simplifiant les choses au maximum, on peut dire qu’il existe deux approches distinctes mais d’égales importances, deux angles possibles, quand un compositeur écrit un morceau pour violon. On parlera, vulgairement, d’une méthode “harmonique” et d’une méthode “virtuose”; la première utilise l’instrument pour ses qualités en combinaisons presque constantes avec d’autres (nombreux ou limités), la seconde va plutôt en explorer les infinies possibilités techniques avec un style de composition extrêmement complexe de façon à mettre en exergue la science du musicien, ce qui transforme le concert en véritable événement sportif. La plupart des écoles en matière de violon gravitent autour de ces deux notions. Dans l’oeuvre qui nous sert d’exemple aujourd’hui, le compositeur italien Ottorino Respighi (1879-1936) procède plus de la démarche harmonique, l’enrichissant de son originalité. En effet, ce musicologue est un personnage fascinant à étudier car son approche englobe un niveau supplémentaire de réflexion intellectuelle et artistique. Il fait partie de ce qu’on pourrait appeler un courant nostalgique, une vision de l’art qui se perpétue sans cesse puisque, par définition, elle s’attarde sur le passé (et si le futur est une chose abstraite et incertaine, ce qui nous précède existe factuellement par essence). Selon cette optique particulière, l’artiste utilise sa connaissance des techniques antérieures ou des concepts archaïques pour les remettre au goût du jour en y insufflant sa propre identité. Respighi était, lui, un passionné des 16e, 17e et 18e siècles, autrement dit de la renaissance, du baroque et de la période classique. Pour son concerto gregoriano pour violon, P. 135, écrit en 1921, l’inspiration choisie par l’artiste fut celle des chants grégoriens (comme le suggère le titre de l’oeuvre) dont la structure spécifique devait être exploitée de façon novatrice, une tâche difficile. Ainsi, pour comprendre le langage musical de Respighi et mieux réaliser concrètement ce que signifie son idéologie culturelle en termes de sons, il est crucial de connaître les multiples spécificités du chant grégorien. Déjà répandu au 11e siècle A.D., cette musique lithurgique était sous le contrôle absolu de l’église et devait soutenir les textes sacrés selon une procédure stricte : un choeur et (parfois) un soliste déclament des versets en latin sans autre accompagnement musical, à l’unisson. Le but visé par une telle pratique, c’est l’harmonie avec dieu, la sérénité confessionnelle avec l’entremise d’un art construit méthodiquement. La fabrication d’un chant grégorien est fondée sur deux concepts : la modalité et le rythme, chacun offrant une clef de compréhension de l’oeuvre étudiée ici. Une première spécificité dérive d’une pratique qui existait déjà en Grèce Antique, la modalité désigne en quelque sorte le décor mélodique général appliqué au morceau qui suit un chemin en huit étapes ou modes; ces derniers reflètent tous une émotion particulière s’enchaînant comme suit : grave, triste, mystique, harmonieux, joyeux, dévot, angélique et parfait. Ensuite le rythme caractéristique du style grégorien évolue selon une esthétique des mots, de la juxtaposition des syllabes comme le ferait un poème; cette manière de procéder n’entre pas dans le champ d’action de l’écriture musicale moderne d’où la difficulté pour l’auteur de traduire ce qu’il imagine sur le papier. Voici donc les deux axes par lesquels il est bon d’aborder le concerto du jour. D’abord il faudra garder en tête que, plus qu’un découpage en mouvements, on écoute une séquence continue avec une évolution dans les ambiances et les ressentis. Ensuite, il faut imaginer que chaque note est un mot, chaque thème une phrase, chaque mélodie une strophe. L’auteur nous parle. Il utilise d’ailleurs, pour ce faire, des thèmes traditionnels du chant grégorien, précisant les rôles sur la partition, le violon est un chanteur soliste qui dirige l’orchestre (qui joue le choeur) dans une homélie “rustique”. Voici ma lecture personnelle de l’oeuvre, libre à vous d’en effectuer une autre, séparée de la mienne, sans guide. Tout commence par un appel lancinant (les  bois) au milieu du brouillard (les cordes); le violon surgit en quelques courbes, sorte de lumière pâle effectuant des allers et venues délicats et sérieux. Le morceau prend de l’altitude, le rythme accélère, peu de brumes à l’horizon. C’est un train courant d’une vallée d’herbes folles à une autre avec impétuosité. Quelques changements de texture, le calme retrouvé en alternance avec des vagues plus nerveuses offre une palette originale de sons contrastés, oxymores judicieuses. Cette impression de campagne persiste, plus tendre avec des incertitudes, des larmes ou de la rosée, c’est plus rêveur. Soudain, l’intensité se fait plus forte, retombe, le violon est dans un monologue ému, imprégné de passion, de rigueur, il nous dit ses visions, ses doutes, ses joies, ses profondeurs. L’orchestre suit doucement, pas à pas, mesure après mesure; une montée progressive, un pèlerinage culminant avec majesté vers un lyrisme déchirant, on nous crie de la beauté, on explose d’un romantisme exacerbé où tout est mélange, richesse, envolée. Retour sur terre, parmi les hommes simples où maître violon articule des ondulations caressantes, des cascades et des sentiments plus durs, plus violents (soutenus par des coups saccadés en arrière-fond). On sonne une retraite, un recueillement bizarre qui s’escarmouche en nouvel assaut romantique, moins grandiloquent peut-être, mais toujours aussi superbe. C’est comme un lierre inexorable qui sussure des mots doux, des sagesses ? Après une courte communion, la joie déferle avec une puissance incroyable et une mélodie délicieuse (basée sur un Alléluia). Il s’ensuit de l’héroïsme musical entrecoupé de sections intimes, lunaires, le tout élaboré comme une poésie exhaltante sans discontinuer grâce à des harmonies sensationnelles. Et, avec un retour constant de la mélodie de départ, le mouvement se lance d’un immeuble et vole vers des infinités suprêmes d’expressionnisme, voyant les seules parties complexes (virtuoses) du violon qui, après son périple multiforme arrive à une  sorte de perfection, un paragraphe magistral. C’était l’ambition d’Ottorino Respighi d’exprimer son tempérament, sa personnalité, via une combinaison houleuse mais réussie, celle de l’ancien et du nouveau, du grégorien et du moderniste, cette dualité s’exprime avec un langage particulièrement complexe qui, décodé, ouvre à des sens, à des hauteurs, à des immensités vastes, inconnues, délectables, inexplorées… A bientôt.