Salif Keita @ Cirque Royal : 02/04/2014
22 Avr 2014

Salif Keita @ Cirque Royal : 02/04/2014

N’en déplaise à ce bon vieux Philippe,

22 Avr 2014

N’en déplaise à ce bon vieux Philippe, il n’était plus seul à régner ce mercredi 2 avril. Car oui, c’est avec un immense honneur que le cirque « royal »  accueille un autre roi, auto-proclamé cette fois. Sa majesté Salif Keita. De ses mots lors de son entrée: « Je suis votre roi, ce sont mes fous (les musiciens) et vous êtes ma cour ». Ce soir-là, il nous ouvre les portes de son royaume au cours d’une tournée acoustique qui se veut intimiste et épurée.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me paraît plus que nécessaire d’introduire le personnage et ses faits d’arme. En effet, Salif Keita fait partie de ces musiciens dont la musique ne se savoure pleinement que lorsque l’on comprend toute la richesse du message dont elle est imprégnée. La vie n’est pas un long fleuve tranquille pour celui que l’on considère aujourd’hui comme « la voix d’or de l’Afrique » et comme un ambassadeur de la musique malienne à travers le monde.

Un rapide coup d’oeil à la biographie de Salif Keita permet de saisir tout le sens de cette royale présentation de début de concert. En effet, celui-ci descend en droite lignée de Soundiata Keita, fondateur de l’empire du Mali au 13ème siècle. Durant son enfance, Salif Keita se refuse à entamer de grandes études, comme le souhaitent ses parents, et fait le choix de devenir musicien. C’est un thème qui sera souvent évoqué dans sa musique, car suite à cette décision, il subit une stigmatisation sociale de la part de sa famille. En effet, Salif appartient à la caste princière, et être musicien est une fonction exercée par une caste considérée comme inférieure, celle des griots, transmetteurs de la tradition orale dans l’empire du Mali. Suite à ce choix, il est rejeté par sa famille et part pour Bamako en 1968. Il se fait connaître au sein du groupe Les Ambassadeurs. Il part tour à tour enregistrer aux USA et en France. A travers ces albums, Il lutte pour la dignité des immigrés africains en Europe. Albinos, il se bat pour l’acceptation de cette différence, régulièrement associée à des pouvoirs maléfiques au sein du continent africain. C’est une ode à la tolérance qu’il nous offre à travers sa chanson La différence.

« Je suis un noir, ma peau est blanche et moi j’aime bien ça, c’est la différence. Je suis un blanc, mon sang est noir, moi j’adore ça, c’est la différence qui est jolie »

Je pénètre donc l’arène avec une excitation certaine. La première partie de ce concert nous est offerte par un jeune artiste d’origine congolaise du nom de Témé Tan. Sa musique est un véritable melting pot sonore, à la croisée de différentes influences culturelles et musicales. Prenez des beats épais travaillés à la MPC. Ajoutez-y des sonorités africaines et des enregistrements issus des rues de Kinshasa, un soupçon de guitare délicieusement vintage, et enfin, sublimez le tout d’une voix douce et atmosphérique. Vous obtenez une fricassée mélodique de qualité. Un morceau à découvrir, Matiti.

Après cette savoureuse introduction, place au roi Keita. Le pas lent et assuré, il fait son entrée sur scène. Immobile sur son trône, on lui tend une guitare. Les doigts effleurent le manche, les premiers accords résonnent. La chanson s’appelle Tassi, elle parle d’une mère qui a perdu son enfant. Il ne faut que quelques secondes avant d’être submergé par un océan d’émotions. La voix de Salif Keita, douce et puissante à la fois, possède l’incroyable capacité de restituer en chacun la complexité de sentiments que les mots peinent à décrire.

Les chansons suivantes ne feront que confirmer ce don exceptionnel que possède Salif Keita. Il nous offre le splendide morceau Folon, accompagné par un joueur de kora (instrument à corde malien). Il sera par la suite rejoint par 5 autres musiciens. Deux guitaristes, deux choristes et un batteur. Les chansons suivantes sont beaucoup plus rythmées, dans la lignée des traditions mandingues, et s’éloignent des balades épurées et intimistes de début de concert. Face à ce changement d’atmosphère et au vu du nombre de musiciens sur scène, il est alors pertinent de se demander ce que signifie réellement une tournée acoustique. Peu importe, ce n’est pas l’emballage qui compte, mais bien ce qu’il y a à l’intérieur, et nous sommes face à un joyau musical. Les musiciens sont talentueux, ils nous transportent au gré des notes et on prend plaisir à voguer vers d’autres horizons musicaux.

 

Salif Keita live

Il y a cependant un bémol que je ne peux m’empêcher d’évoquer quand arrivent les morceaux un peu plus ‘’Shake ton booty’’. Le cirque royal ne possède pas de fosse et la stature assise s’avère rapidement être un véritable « tue-l’amour » musical. Les spectateurs qui se risquent à se lever pour danser se retrouvent rapidement refroidis par d’autres sous le prétexte du sacro-saint ‘’ je ne vois plus’’. La poudre ne prend pas toujours, et cette symbiose public-artiste qui fait réellement la différence lors des concerts vient à manquer sur une bonne partie de la performance. Un Salif Keita, dépité par la scène, mais en aucun cas responsable, exigera « Que la cour se lève !» sur les derniers morceaux.

Mis à part cela, le spectacle est beau, grandiose par moment, comme lors de cet éblouissant hommage à la regrettée Cesaria Evora tout au long du morceau Yamore que nos deux choristes interpréteront de manière exemplaire…

 

 

Salif Keita live choristes

…ou lors du touchant morceau Tu vas me manquer.  Le tout couronné d’un surprenant rappel lors duquel nos deux choristes vêtues d’un élégant boubou traditionnel, se lancent, chacune à leur tour, dans une performance vocale impressionnante, s’accaparant pour quelques instants le trône du sire Keita.

Salif Keita, malgré le poids des années, ne ternit pas. Sa voix intemporelle transperce les âmes. Nous l’accompagnons sans retenue dans ce voyage intérieur touchant, envoûtant, déstabilisant par moment. De cette soirée, ce sont les morceaux les plus doux que nous retiendrons. Nous voici donc face à un artiste exceptionnel, mais également à une personne intègre qui a renoncé à un destin tout tracé, à l’encontre de la rigidité des castes, pour nous offrir l’un des plus beaux témoignages de la musique africaine contemporaine. Un spectacle à ne manquer sous aucun prétexte, et qui espérons-le la prochaine fois, prendra place au sein d’un lieu plus intimiste, à défaut d’être royal.

 

 

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