Jeff Beck @ AB 26/05/2014
05 Juin 2014

Jeff Beck @ AB 26/05/2014

A un mois à peine de son

05 Juin 2014

A un mois à peine de son septantième anniversaire, Jeff Beck prouve que certaines âmes musiciennes ne ternissent pas avec le temps.

Pour ceux qui ne lui sont pas familiers, je vous présente rapidement l’artiste.
Jeff Beck est un guitariste dont la carrière, parallèle à celles des plus grands (Led Zeppelin, Clapton) débute au milieu des années 60, avec les Yardbirds. Malgré ses débuts en groupe, l’essentiel de cette carrière s’est déroulée en solo. En effet, malgré son association avec quelques grands noms, comme Rod Stewart (dans le Jeff Beck Group), Rory Gallagher, son style est marqué par la composition solitaire plutôt qu’en groupe (d’où tous les “Jeff Beck &…”). Ce qui fait de lui une légende est son intérêt pour le son. C’est l’un des premiers à s’intéresser à la distorsion; il va littéralement réinventer la manière de faire sonner une guitare. Très inspiré par le blues, il va en utiliser certaines sonorités, certaines techniques (bottleneck, bend) et en conserver l’esprit pour se créer un style personnel. Il n’utilise pas de pick à la main droite, ce qui ouvre à de nombreuses possibilités, même si cette technique (fingerpicking) a pour inconvénient de limiter la vitesse de jeu de son utilisateur. Son objectif : le non-respect des conventions. Utiliser son instrument pour en tirer un maximum de sonorités intéressantes. Il dit lui-même : “Certaines personnes me demandent ce que je joue comme instrument sur mon album, c’est un des meilleurs compliments qu’on puisse me faire ! “. C’est grâce à des harmoniques bien placées et à l’utilisation incroyablement maîtrisée du vibrato qu’il y parvient. Son talent ne se limite pourtant pas à la transformation de la guitare en un instrument nouveau, il réside également dans la variété des styles et des ambiances qu’il développe tout au long de sa carrière et qu’il peut résumer sans choquer au cours d’une même soirée.

Nombreux sont les guitaristes, musiciens, styles de notre époque sur qui il a eu une influence, du jazz-fusion au métal.

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Un rapide tour du groupe qui l’entoure sur scène avant de rentrer dans le vif du sujet :

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Nicolas Meier. Un second guitariste aussi talentueux ne fait qu’affirmer l’importance de notre artiste dans le monde de la musique. Marqué par des influences musicales turques, passé maître des arrangements, soliste exceptionnel tout droit sorti de Berklee, le virtuose a joué avec les plus grands, été récompensé maintes fois. Pourtant, sur scène, son regard chargé d’admiration et sa capacité à rester en arrière traduisent un respect gigantesque de l’homme qu’il accompagne.

 

6Rhonda Smith, à la basse. Une grande dame, assurément. Rares sont les bassistes possédant la présence scénique de Mrs Smith. Elle ne se met pas plus en avant que son ami au manche frêle, mais son attitude, jambes écartées, confiante, le menton relevé et son style, lui confèrent une aura incroyable. Sa technique main gauche comporte beaucoup de slides, ce qui donne une impression de flottement particulièrement utile dans le répertoire de Beck et qui permet une approche douce des notes. Multi-instrumentaliste et chanteuse, compositrice reconnue et primée, elle apporte une base rythmique et harmonique solide aux morceaux ainsi qu’une interprétation juste du répertoire varié du frontman.

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Jonathan Joseph, à la batterie. Lui aussi sorti d’une école de musique et malgré qu’il soit très attaché au jazz, il ne semble pourtant pas éprouver de difficultés à explorer les styles variés du répertoire de Jeff Beck. De plus, sa complicité avec Rhonda est un atout au niveau du visuel scénique (toujours plus agréable de regarder des musiciens qui se sourient et communiquent) mais surtout un gros appui rythmique. Le batteur expérimenté apporte une énergie considérable à chacun des morceaux, sans jamais sonner brouillon. Son passé de jazzman se ressent au travers de la clarté de son jeu, et de sa maîtrise des nuances permettant des transitions fluides entre les ambiances sonores des différents morceaux.

Mais j’ai déjà beaucoup tardé, il est temps de laisser l’artiste monter sur scène…

Je dois l’avouer, le début me laisse sceptique. Pourtant le bon vieux groove hard rock, très lourd de “Loaded” aurait dû me séduire. La disposition scénique met à l’avant un Jeff Beck à première vue assez réservé, mais musicalement excellent. Du haut de ses 70 ans (presque) il garde une humilité remarquable, et un jeu abouti, précis. C’est cela qui convainc, qui permet de profiter de l’expérience 8musicale. Après les deux premières chanson, déjà, la complicité entre Beck et ses musiciens s’intensifie, et je me détends. Le respect que l’homme témoigne envers ses musiciens est remarquable, Rhonda Smith ne tarde d’ailleurs pas à prendre possession du devant de la scène la durée d’un morceau, pour offrir un solo de basse époustouflant. Contrairement à ce que la place qu’occupe le guitariste vedette laisse croire à première vue, chacun des membres du groupe se voit attribuer une importance particulière, des solos, et peut faire ses preuves. Le respect mutuel et la cohérence musicale sont un point fort indéniable du show, ces éléments soutiennent les ambiances diverses et les changements de styles associés au style particulier de Beck. Ces changements sont d’ailleurs parfaitement orchestrés et exécutés par ces musiciens rodés, leur aisance transcende, détend aussi, même sur les morceaux comportant le plus de tensions. Chaque transition, phase rythmique, est respectée et interprétée remarquablement. Les morceaux doux et énergiques se suivent sans règles spécifiques, mais le répertoire de Jeff Beck se prête à se genre de mélanges sans faire sourciller, la surprise d’un morceau pêchu  après avoir été emporté dans les tourbillons des ambiances aériennes de certains autres réveille, rythme le concert de manière à toujours garder le public en alerte.

L’interprétation de “Little Wing” de Jimi Hendrix me laisse sans voix. L’introduction ne permet pas de reconnaître le morceau immédiatement, elle laisse planer le doute. Quelques notes plus tard, alors que le public commence à acclamer la chanson enfin reconnue, le premier d’une longue série de solos commence. Le respect et l’admiration de Beck pour le guitar hero décédé se ressent dans chacune des notes qu’il expulse de sa guitare et, malgré la vieillesse de ses traits, les souvenirs semblent proches de lui. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il réincarne Jimi Hendrix, mais il parvient à rendre vie à l’un des morceaux les plus marquants, les plus touchant de l’artiste. Il alterne les phrasés “clins d’oeil”  et ses techniques personnelles, rendant une impression de cohabitation dans une même guitare. Bien sûr, il joue les grands classiques “The Pump“, “Porkpie Hat“, “Stratus“; standard indémodable et “Cause We Ended As Lovers“. La nouvelle formation de Beck donne une résonance particulière aux chansons, et leur redécouverte surprend toujours agréablement. Parmi les “cultes”, il glisse des nouvelles compositions, attestant avec force que sa soif de nouveaux horizons musicaux n’est pas tarie. “Yemin” en est un exemple parfait, et Nicolas Meier n’est pas pour rien dans les tournures orientales du morceau.

Where Were You” présente quelques une des multiples facettes du guitariste ; sa simplicité, sa maîtrise, son intérêt pour les sons originaux. Ici, il se sert des harmoniques (il ne joue pas la note en poussant sur la corde, mais il pose son doigt sur la corde avant de gratter la corde) et du vibrato pour créer des notes pures, qu’il manie avec une souplesse remarquable.

Tout le show est ponctué de timides remerciements gestuels, de paroles rares, principalement utilisées pour valoriser ses musiciens. “You Never Know” est un parfait exemple de réveil musical dans le concert. Il ne se contente pas de faire bouger les spectateurs, sa composition révèle le talent de Beck en matière d’arrangements et de puissance scénique. Pas une fois il ne s’essouffle sur le rythme endiablé de la composition sortie sur l’album “Flash” il y a de cela presque 30 ans!

https://www.youtube.com/watch?v=ufB1dSfk9Sg

 

https://www.youtube.com/watch?v=N7SnrVYz7FA

La mélodie, finalement, est un des aspects clé qui mène à la compréhension de la musique de Jeff Beck. Impossible d’être guitariste soliste d’un groupe sans chanteur (même guitariste soliste tout court) si on ne pense pas à la mélodie. Les deux morceaux suivants, “Danny Boy” et “Cause We’ve Ended As Lovers”, prouvent à quel point le développement de sa technique a porté une capacité à faire vibrer les mélodies les plus touchantes, et atteindre le public droit dans l’âme. La mise au service de toute sa technique à la beauté harmonieuse des deux derniers morceaux offre à Beck le statut de musicien abouti et le classe immortellement parmi les plus grands, ceux sur qui le temps a posé sa maturité, qui vivent dans et pour la musique et qui offrent généreusement à leur public des prestations empreintes d’humilité, comme celle à laquelle j’ai eu droit lundi soir.

 

Merci à Pauline Caplet pour les photos.

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