Tinariwen @ l’Ancienne Belgique : 09/03/2014
21 Mar 2014

Tinariwen @ l’Ancienne Belgique : 09/03/2014

Nous sommes dimanche soir, 19h30, heure fatidique

21 Mar 2014

Nous sommes dimanche soir, 19h30, heure fatidique à laquelle le petit peuple se prépare mentalement à encaisser une nouvelle semaine de dur labeur. Et bien ce soir, je romps la malédiction et m’offre un échappatoire de deux heures dans la chaleur aride du Sahara. En effet, c’est en grandes pompes que l’Ancienne Belgique accueille Tinariwen, piliers du Blues Nord-Malien.Tinariwen signifie « les déserts » en tamasheq, langage des touaregs. Musiciens talentueux et ardents défenseurs de la cause touareg à travers le monde, Tinariwen est un groupe au message fort et à l’engagement politique intense, né dans le chaos des révolutions  et de l’instabilité politique entre le peuple touareg et le gouvernement malien. La rencontre se produit au sein d’un camp de fortune libyen suite à l’exil d’une partie de ces nomades dans les années 80. Cet exil forcé, afin d’aspirer à une vie meilleure plus près des villes, eut une influence certaine sur leur musique. En effet, le Blues touareg, dit Assouf (Solitude, nostalgie en langue tamasheq) se trouve au confluent du blues, du rock et de la musique traditionnelle touareg.  Dans les années 90 lors de la rébellion touareg, ils troqueront les guitares contre les armes et iront se battre contre l’oppression de leur peuple au mali. Cela nous offre un point de vue complémentaire sur le concert de ce soir.

Tinariwen

Dès mon entrée dans l’AB, le décor est placé. A coté du bar, des hommes en chèche et costume traditionnel côtoient les piliers de comptoir.  Pendant que la salle se remplit gentiment, une légère musique bédouine agrémentée de bêlements de chèvre se diffuse dans l’atmosphère. J’ai presque envie d’enlever mes chaussures et sentir le sable chaud s’infiltrer entre mes orteils. Les minutes s’écoulent, les gens s’installent, et la musique furtivement s’intensifie. Les bêlements laissent place aux percussions qui montent crescendo et viennent délicatement nous marteler la poitrine, annonce de  l’arrivée imminente de cette tempête de sable acoustique. Ca y est, ils sont là. A 6 sur scène, le visage caché par les chèches et revêtus de leurs takakat (vêtement traditionnel touareg), ils saisissent les micros et entament une vocalise profonde, accompagnée par les claquements secs du djembé. Une introduction envoûtante qui annonce la couleur de cette soirée aux accents cosmopolites.

Au total, 17 morceaux aux ambiances variées seront joués ce soir, pour la plupart issus de leur nouvelle galette Emmaar. Album qui fait suite à Tassili, sorti en 2011 et ayant obtenu le Grammy Award du meilleur album de musique du monde. Les chansons, chantées en tamasheq, évoquent la nostalgie des temps anciens, quand les droits de ce peuple étaient encore respectés. Elles décrivent également la beauté du désert, et du ciel, l’immensité des terres ancestrales ou s’ancrent leurs racines. Il est alors accablant d’apprendre qu’à cause de l’instabilité actuelle au Nord-Mali, l’album ait dû être enregistré en Californie. Une légère compensation cependant, leur studio se trouvait au sein du désert de Joshua Tree.

« We love all the desert, these are places where we feel good to live and create »  – Eyadou Ag Leche (bassiste)

La musique est vécue avec une telle intensité chez eux que cette pandémie acoustique contaminera assez rapidement l’ensemble de l’assemblée toute entière. Les morceaux s’enchaînent avec fluidité. Blues au tempo lents, tels Sendad Eghlalan,  joués à l’acoustique.

Sur ceux-ci viennent se greffer les solos mélodiques de la Telecaster qui ne sont pas sans rappeler un certain Ali Farka Touré (autre pilier de la musique malienne, appartenant quant à lui à la tribu Songhaï). A cela s’ensuivent des blues aux rythmes syncopés et aux accents plus occidentaux comme Toumast Tincha.

Et des morceaux plus rapides tels que Chaghaybou dont les percussions ne permettent pas de douter de l’appartenance de nos acolytes au continent africain. Vient également s’intercaler une balade blues plus tranquille. Tout cela sublimé par les chœurs puissants des membres du groupe. Sur la droite le doyen de la formation ondule telle une vipère des sables, hypnotisant l’audience par sa prestance. Le spectacle est complet et diversifié, cependant la nécessité d’une montée en puissance se fait attendre. Ça sera probablement le seul reproche de ce concert de grande qualité, il faudra attendre la 14ème chanson et l’arrivée d’un membre supplémentaire pour entrer dans le vif du sujet.  Mais une fois ce moment arrivé, on en prend plein les oreilles. Les percussions s’intensifient, les rythmes et les chœurs font tressaillir les entrailles, et une escalade frénétique s’empare du publique tel le souffle chaud du sirocco. C’est l’euphorie, les youyous sifflent de partout, le vieux entre en transe, et les notes des guitares fusent comme des balles ! Ça y est, au bout d’une heure et demie de concert, on les aura nos cinquante degrés à l’ombre ! La fin tombe alors comme un ultimatum revêtu d’une légère amertume…

Heureusement, suite à cette effervescence, un rappel paraît inévitable pour Tinariwen. Ceux-ci reviennent donc sur scène pour un dernier baroud d’honneur.  La chanson choisie est calme et planante, comme un coucher de soleil sur les dunes de sable ambrées qui fait suite au brasier de cette fin de soirée. On ferme les yeux et on se prend à voyager, éprouver la vie de ces hommes (et femmes) au destin complexe et tumultueux. Et c’est grâce à des artistes à l’engagement artistique et politique profond tel que Tinariwen que la musique devient transcendante. Elle se voit affublée de la faculté de nous offrir un voyage intérieur de plusieurs milliers de kilomètres, de Tombouctou à l’Algérie, et d’entrevoir le monde à travers les yeux de personnes au quotidien singulier et relativement différent du notre. Comme quoi, le dimanche soir ne sert pas qu’à regarder la téloche en mangeant le reste de p’tits pois carottes qui moisit dans le frigo…  Des musiciens à écouter chez soi bien-sûr mais à voir en live avant tout, car c’est là que toute l’alchimie opère.

Pour en savoir plus:

http://tinariwen.com/

D’autres Bluesmen touareg à écouter jusqu’à plus soif:

Tamikrest, Bombino, Terakaft, Toumast

 

 

Leave a comment
More Posts
Comments
Comment