Rock’n’Lou Reed
03 Nov 2013

Rock’n’Lou Reed

Les articles déferlent sur la toile. Celui

03 Nov 2013

Les articles déferlent sur la toile. Celui qu’on nomme tantôt icône, tantôt légende du rock Lou Reed s’en est allé. Pas de citations de tweets. Pas de pipolisation. On ne parlera ici que de son âme musicale, qui transcendera les époques on l’espère malgré sa disparition physique.

« It always bothers me to see people writing ‘RIP’ when a person dies. It just feels so insincere and like a cop-out. To me, ‘RIP’ is the microwave dinner of posthumous honors. » Lou Reed.

 « Life is like sanskrit read to a pony »

Lewis Alan Reed était âgé de 71 ans et le restera à jamais, ayant succombé durant une séance de tai chi. Il a grandit dans une banlieue de New-York élevé par des parents juifs new-yorkais. A l’âge de 17 ans, ses parents lui font subir un traitement aux électrochocs sous l’impulsion d’un psy, afin de le guérir de ses « tendances homosexuelles ». Il étudiera à l’université de Syracuse et suivra les cours du poète Delmore Schwartz.

Cet homme aurait pu avoir la même vie qu’un autre. Mais ce qui en fait Lou Reed, c’est la musique qui l’anime. Il commence le piano dès l’âge de 5 ans et s’intéresse au rock’n’roll, au jazz, au doo-wop. Il commence la guitare à 10 ans avec « un de ces types qu’on trouve dans un magasin de pianos et qui donne cours au fond de son magasin », et achète tous les disques de James Burton pour jouer comme lui. A 16 ans, il co-écrit et enregistre à la guitare le morceau « So Blue » au style doo-wop au sein des Jades. Il avoue que les groupes dans lesquels il jouait étaient tellement mauvais qu’ils devaient tout le temps changer de nom, parce qu’on ne les engagerait pas deux fois. En 1964, il travaille pour le label Pickwick International comme auteur-compositeur ; il imite les modes du moment en produisant des compilations rock à bas prix. C’est là qu’il rencontre John Cale.

« On est célèbres et fauchés »

La première partie de la grande aventure commence en 1965, lorsqu’il forme « The Velvet Underground » avec John Cale, Sterling Morrison et Angus McClease, ce dernier quittera le groupe après leur premier « contrat » (« on doit venir jouer de telle heure à telle heure ? J’me barre. » dira-t-il. C’est ça les sixties man). Maureen Thucker le remplacera à la batterie, et ils commencèrent à jouer au Café Bizarre où ils étaient vendus comme « la musique avant-garde ».

« Sunday Morning and i’m falling, i’ve got a feeling i don’t want to know… » Clap. Première chanson de leur album « Velvet Underground and Nico », produit par Mr Warhol, tenancier de La Factory. Si la musique inhibe l’âme, les drogues, l’alcool et le sexe en inspirent la mélodie et les paroles. Lou Reed avait le souhait intime d’écrire comme Burroughs, Ginsberg, Chandler, Selby et d’introduire ces paroles sur du son rock’n’roll. Sur la deuxième face cet album figure « Heroin », qu’il avait écrit bien avant de rencontre Andy Warhol et qui raconte sans fioritures la simple prise d’une drogue. Les instruments recréent les sensations physiques : accélération des battements de cœur par celle la batterie, l’alto représente l’afflux de sang au cerveau,…

Away from the big city
Where a man can not be free
Of all of the evils of this town
And of himself, and those around

Trop choquant pour la morale publique, traitant de thèmes controversés, cet album devra attendre un temps avant d’accéder au statut d’œuvre culte. Le rock était la musique des jeunes, et Lou jouait avec des mots d’adultes, « un langage simple, beau, direct » en dit Patti Smith. Pourtant cette sensation de lâcher-prise ne parle-t-elle pas à tout le monde, que l’on soit drogué ou non ?

Séparés de la chanteuse Nico et d’Andy, deux ans plus tard, ils enregistrent « White Light/White Heat » qui était l’album le plus speed du moment. Expérimentale, la musique balance entre la batterie frappée tel un tambour à l’africaine de Maureen, et Lou qui se joue des effets Larsen à la guitare : « j’aime le free Jazz, Ornette Coleman, Pharoah Sanders, Albert Aylers, et je voulais retrouver les sonorités du saxophone à la guitare ».

Pour le troisième album, sobrement intitulé « The Velvet Underground », John Cale est évincé du groupe et remplacé par Doug Yule. Dû à sa pochette représentant le groupe sur un canapé, il est surnommé « l’album au canapé ». Il est composé de ballades empreintes de douceur, tranchant radicalement avec le style précédent. Il nous offre une voix mélancolique dans « Pale Blue Eyes ».

« Loaded », album considéré comme le réel dernier du groupe, enchaîne des ballades plus joyeuses. Mais la voix de Lou déraille, et plusieurs chansons sont interprétés par Doug Yule. A travers le personnage fictif de Jenny, dans sa chanson « Rock’n’roll » il rend un hommage à ce genre musical qui aurait sauvé la vie de la petite fille. Mais on s’en doute bien, c’est sans doute un peu de lui qu’il parle…

  You know, she don’t believe what she heard at all
She started shakin’ to that fine fine music
You know her life was saved by rock ‘n’ roll

« Je ne comprends par pourquoi le Rock ne pourrait pas aborder tous les sujets ».

La deuxième partie de cette aventure se matérialise par la carrière solo de Lou. Produit par David Bowie qui le considère comme son idole et Mick Ronson, son deuxième album « Transformer » est celui qui recèle ses trois pépites les plus connues : Perfect Day, Satellite of Love et Walk on the Wild Side. Sur une mélodie légère, la voix profonde mais détachée, il raconte dans cette dernière l’histoire des travestis (toujours en évoquant la drogues) qu’il aura côtoyés lors de ses années à la Factory. Un hommage simple, doux, où il parle de Holly (Woodland), Joe (Dallesandro), Jackie (Curtis), Candy (Darling), et Joe (Campbell).

Plucked her eyebrows on the way
Shaved her leg and then he was a she
She says, hey babe, take a walk on the wild side

Cette transition par le rock à paillettes, appelé Glam Rock, s’achève (plus ou moins) par l’album-phare Berlin. Sombre, parlant de violences, de l’histoire du couple fictif de Jim et Caroline qui se déchire, sans aucun tabous, il tranche sans nul doute avec la musique qui passait sur les ondes à l’époque. « Un album fondamental, plus profond que tout ce qui a été produit aux Etats-Unis depuis cinquante ans » en dit Bob Ezrin, le producteur. Dans le morceau « The Kids », on entend des enfants pleurer ; il s’agirait de ceux de Bob, qu’il aurait enfermés dans une pièce du studio en leur disant « votre mère ne reviendra plus jamais ». Meurtri par des changements profonds dans sa vie, il transmet ici musicalement et poétiquement à perfection une douleur, ce doute qui l’assaillait.

Branché, méchant garçon, arborant une image qui ne lui colle pas, il sort «Rock’n’roll Animal » en 1974. Il y reprend 4 morceaux du Velvet Underground, ce qui apparaît comme un retour aux sources logique après sa remise en question avouée sur son précédent album. Le résultat de ce ressourcement, c’est «Metal Machine Music » un an plus tard, dans lequel il revient avec des Larsen à la guitare, des bourdonnements, des expérimentations. Dans le laboratoire de Dr Reed, on fait fi des paroles et du rythme, on joue sur la vitesse, on ne perd pas le sens du détail, et l’âme envolée par les drogues n’est plus que brume bercée par des vagues de sons.

« John Rockwell écrit que je suis intelligent. Je l’emmerde, je le savais » dit-il dans son album live «Take No Prisoners » de 1978. Il incarne dans ces années l’esprit punk, iconoclaste, rebelle, marginal, s’en prenant à tout le monde. S’ensuivent les années 80, la reprise en main de sa guitare et de sa vie; sobre, désintoxiqué, marié. Et dix ans plus tard, le décès d’Andy Warhol, pour lequel, en collaboration avec John Cale, il sortira l’album  Songs for Drella (pour Dracula/Cinderella). Ils rendent hommage à cet homme pour qui ils avaient compassion et sentiments profonds.

Fly me to the moon, fly me to a star
But there are no stars in the New York sky
They’re all on the ground

En 1989 c’est avec l’album «New-York » qu’il remet le feu aux poudres. « On réduit les allocations, les programmes alimentaires, on s’attaque aux plus faibles. On devient inhumain et on voit le résultat à New-York, en marchant dans la rue ». A l’image de son album-hommage à Andy Warhol, il sort en 1992 «Magic and Loss », où il déplore le décès de deux proches. Une musique toujours simple et sincère, pleine d’émotions et à la fois d’amertume.

L’homme se révèle être indissociable de sa musique, ou sa musique indissociable de l’homme. En tout cas, elle lui colle à la peau et ses 27 albums retranscrivent tous des fragments de sa vie, tantôt glamour tantôt noise, rendant des hommages sans pareil ; ce qui fait selon moi la longévité d’un artiste, c’est sa capacité d’adaptation aux temps modernes avec ce motto personnel qui le détache de la masse. Adieu l’ami, sans toi plus aucun day ne sera perfect pour de nombreuses personnes.

Some kind of nature, some kind of soul… Of gold and majesty.

« Quand je chante, je veux qu’on sente une voix présente, intime et vraie. Je veux que l’on puisse y croire »

N.B.: quelques-unes des citations de Lou Reed sont librement reprises du documentaire “Lou Reed, Coeur de Rock” d’Arte.

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