Passé en septembre à Liège, le groupe Quilipayún continue de scander son hymne populaire sans s’essouffler. Malgré leurs âges, les membres gardent le tonus de leurs plus jeunes années lorsqu’ils entonnent leurs paroles révolutionnaires « El pueblo unido jamás será vencido ».
Et maintenant, le peuple qui se soulève dans la lutte
Avec des voix de géants criant : en avant!
Le peuple uni ne sera jamais vaincu
(Texte de la fin : le rêve existe, et comme tous les rêves il se construit à l’aide de tout ce que l’on a vécu. Notre rêve est un pays démocratique qui respecte les droits humains, où il y a de la justice, vérité et réconciliation, où il y a du respect et de l’admiration pour les héros qui sont tombés. Vive Allende, vive le Chili.)
Fondé en 1965 par Eduardo Carrasco, Julio Carrasco et Julio Numhauser, il est actuellement composé de 11 membres. S’il faut retenir ce groupe qui utilise encore des instruments andins, et surtout cette chanson, c’est pour l’engagement social et politique dont il fait preuve.
En 1970, Quilipayún collabore à la campagne électorale de Salvador Allende qui sera alors élu démocratiquement, au grand dam des américains… On ne refait hélàs pas l’histoire, on s’en souvient avec tristesse : le général Pinochet renverse le pouvoir en place par un coup d’Etat militaire en septembre 1973.
La chanson « El Pueblo Unido » qui a été composée par Sergio Ortega aura alors été enregistrée en juillet 1973 par le groupe. C’est chargée de cette histoire d’un Chili détruit dans son chemin vers la démocratie que, désormais, elle représente la lutte pour la liberté et l’égalité de citoyens opprimés à travers le monde entier.
Jamas sera vencido ?
S’il y a un autre nom à retenir et associer à l’histoire des « Quilas », c’est bien celui du poète et musicien Victor Jara qui fut leur directeur artistique. Ici, au-delà de la chanson, c’est l’homme qui est devenu une légende.
Le jour du coup d’Etat, il est arrêté et emmené au Stade national, où il se retrouve prisonnier avec d’autres militants pro-Allende. Les militaires lui tranchèrent les doigts, ses principaux outils en tant que guitariste, et lui intimèrent l’ordre de chanter. Défiant cette autorité, il lança l’hymne de l’Unité Populaire que les autres détenus continuèrent. Il mourra criblé de balles.
Enormément d’hommages ont été rendus au chanteur martyr, desquels je retiendrai dans cet article « Victor Jara’s Hand » du groupe Calexico, ainsi que le poème relatant les faits passés au Stade national, « Lettre à Kissinger » (secrétaire d’Etat américain sous la présidence de Nixon au moment des faits), de Julos Beaucarne.
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Je suis juste un homme de plus qui rêve à voix haute et regarde la mer
Il entonna l’hymne de l’U, de l’Unité Populaire, repris par les six mille voix des prisonniers de cet enfer. Une rafale de mitraillette abattit alors mon ami, celui qui a pointé son arme s’appelait peut-être Kissinger…
Ailleurs, toujours la répression
Si cet acte fait encore frissonner malgré qu’il date du siècle passé, il faut savoir que la barbarie envers les musiciens et libres penseurs est loin d’être finie. Souvenez-vous : en 2011, les peuples commencent à crier et chanter dans les rues de Syrie. Ibrahim Qachouch deviendra un éminent porte-voix avec son hymne « Yalla irhal ya Bachar » (Allez, dégage Bachar).
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=X18sC1kCoK0
Tu as perdu ta légitimité, tu paieras cher le sang des martyrs, Bachar, toi et tes discours que le diable vous emporte, la liberté est à nos portes
Il sera retrouvé mort au bord d’une rivière en juillet de la même année, les cordes vocales arrachées. Et cet homme surnommé « l’oiseau moqueur de la révolution » aura lui aussi payé cher le défi lancé par la musique au régime dictatorial en place.
Au-delà de son expression des révolutions sociétales, la musique se révèle être un très fin instrument politique. Son importance est donnée par les gouvernements qui auront pris la peine de faire taire ces deux hommes illustres qui y auront laissé la vie contre leur passion et leur foi en un changement profond.
Parra la libertad
Pour terminer les oreilles bercées par une voix féminine (quand même !) qui revendique elle aussi des droits sociaux inaliénables pour tous les peuples, voici le titre « Gracias a la vida » de Violeta Parra (merveilleusement reprise par Mercedes Sosa et Joan Baez). C’est une chanteuse chilienne qui initiera le mouvement ibérique et latino-américain de protests songs folks « Nueva Cancion », avec Victor Jara.
Cette chanson très populaire incarne selon moi toute la poésie d’Amérique Latine, qui révèle la douleur de peuples opprimés par des régimes forts et souvent cruels, parfois déchirés par des guerres civiles. Il y résonne encore et toujours cet espoir infime d’une humanité plus solidaire.
Merci à la vie qui m’a tant donné
elle m’a donné le rire et elle m’a donné les pleurs,
ainsi je distingue bonheur et déchirement
les deux matériaux qui composent mon chant
et votre chant à vous qui est le même chant
et le chant de tous qui est mon propre chant
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