Troisième album, troisième représentation au Botanique (dont une avec Third Eye Foundation), trois nouveaux musiciens sur scène : l’obsession mathématique de Louis Warynski alias Chapelier Fou a, une fois de plus, frappé. Retour sur l’équation mystérieuse de celui qui préfère les hautes formes de l’expérimentation musicale au haut-de-forme.
La date est sold out. Initialement prévu à la Rotonde, le concert s’est finalement vu déplacé à l’Orangerie. Quelques années plus tôt, Chapelier Fou avait joué dans le Grand Salon et il serait déjà reprogrammé pour les Nuits 2015. A croire que le Botanique a bien du mal à laisser filer l’artiste.
Pour la première fois avec l’album Deltas, ce n’est pas seul mais accompagné que Chapelier Fou entre en scène. Alors que les interrogations des non-initiés résonnent dans la salle, Chaton (alto-synthé), Maxime (clarinette) et Camille (violoncelle) prennent place, en arc de cercle, aux côtés du maestro. Une formation étudiée pour que tout le monde puisse se voir. Les jeux de regards et sourires échangés ne laissent aucun doute : Louis est ravi de ne plus être en tête-à-tête avec son violon : « J’en avais marre d’être tout seul. Ca m’a ultra excité pendant des années parce que j’avais plein de trucs à inventer mais j’avais l’impression d’être arrivé sur un plateau. Et puis j’avais envie de jouer avec des gens. », avoue-t-il quelques heures auparavant en loge. Le musicien n’en est pas à son coup d’essai, il joue notamment dans un duo de synthés modulaires (Deep Purple Rain Man), enregistre des cordes pour The Yokel et produit l’album de Fred A. Son studio, c’est encore l’unique endroit où Louis – qui continue de composer seul – se retrouve livré à lui-même. Un moment mystérieux dont le principal intéressé ne semble pas détenir toutes les clés : « J’aimerais bien avoir des caméras cachées chez moi pour revisionner les moments où j’enregistre. Il y a une espèce d’état second, comme une auto hypnose. »
Hypnotisé, le public du Botanique l’est tout autant lorsque la formation fait résonner les premières notes de « Grand Arctica », deuxième morceau du dernier album. (L’ouverture « Pluisme » quant à elle n’a encore jamais été jouée en live.) Rapidement, le spectacle devient autant visuel que musical. Violet, jaune, bleu, les lights se font psychées, à la manière de la pochette de « Deltas », pour laquelle Louis a troqué sa collaboration de toujours avec le très conceptuel Gregory Wagenheim pour un visuel signé Plancton Neuf : plus coloré, plus libre, plus bordélique aussi.
Sur scène, c’est la maîtrise totale. Mon sourire se dessine à l’écoute des notes de clavier bientôt enrobées de nappes aquatiques sur lesquelles vient échouer l’entêtante ritournelle du violon. Les « Métamorphoses du vide », mon morceau favori prend une toute autre ampleur sous les arrangements des quatre musiciens. Violon et alto se répondent, majestueux. S’en suit « Triads for Two », dont les sonorités 8-bit me sortiront légèrement de mon état de transe. Attentive, la foule profite du silence entre les morceaux pour exploser. Arrive le sautillant « Tea Tea Tea ». Avec son beat métronomique et ses cordes aiguisées, le lead single représente le parfait mélange entre musique classique et électronique, deux faces du même Louis.
Les morceaux s’enchainent et les allers-retours entre les deux derniers albums se multiplient. Le set gagne en intensité avec « Cyclope et Othello » et ses lasers verts qui transpercent l’épaisse fumée, survolent le public et découpent des formes sur le mur au fond de la salle. Autre point d’orgue du concert : la berceuse « Polish Lullaby » interprétée en acoustique par les musiciens qui ont quittés leurs machines pour se réunir sur le devant de la scène. Les basses puissantes et profondes de « Fritz Lang » mettent fin à ce moment d’intimité et vont jusqu’à faire résonner les armatures en métal de la salle. Vient le tour du futuriste « i_o » et de ses synthés modulaires. Le tout baigné dans une lumière rouge, atmosphère de fin du monde d’où filtre la lueur du violon. Le set se termine sur « Carlotta Valdes » – également clôture de l’album – et son retournement technologique qui surgit à la moitié du morceau, aussi inattendu qu’efficace. Représentatif à lui seul de la nouvelle direction empruntée par Chapelier Fou.
Plongé dans l’obscurité face à une scène maintenant vide, le public en redemande. C’est seul que Louis revient pour le très cinématographique « Protest » (qui avait fait l’objet d’un EP et de plusieurs remixes en 2014). Le compositeur sera vite rejoint par les trois musiciens et ils entameront ensemble le classique « Darling, Darling, Darling », attendu de tous au vu des cris dans la salle. Ouverture de son premier EP et symbole de ses débuts, le morceau représente le final parfait pour celui qui, cinq ans après, regarde le chemin parcouru. Révolution complétée.
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Et pourtant, acclamé par le public, Chapelier Fou ne résiste pas à un deuxième rappel. « Pentogan 3.14 », la der’ des der’. En finissant sur ce morceau – probablement le moins facile d’accès sur le dernier album mais aussi le plus aventureux, le plus expérimental, le plus éloigné du « bricolage » de samples des débuts et des mélodies au violon – Louis assume ses virages et regarde vers le futur, avec en tête l’obsession de ne jamais tourner en boucle.
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BONUS – Metz is the Future
>> Un remix du “Protest” de Chapelier Fou signé Dog Bless You alias Samuel Ricciuti, un des papas du label indépendant Chez Kito Kat Records qui, depuis 2006, a donné vie à une quarantaine de productions, allant de la musique électronique au shoegaze en passant par l’expérimental. Le tout sous forme d’objets léchés, manufacturés à la main. En migrant – pour deux des trois boss du label – de Richemont à Bâton Rouge, Kito n’a pas cessé ses activités et ses compilations continuent de rassembler ce que l’Alsace-Lorraine et le Luxembourg ont de meilleur à offrir. La dernière en date – “Kito Sounds #7” date du 25 février et est en écoute ici.
>> Un autre remix signé Chapelier Fou cette fois du “Dead and Gone” de MWTE, groupe de musique électronique originaire de Metz. Avec leur premier EP “Attraction to Light” produit par Victor Ferreira (Sun Glitters), MWTE place la barre haut, dans les sphères de la dream pop, des ballades futuristes et des voix aériennes. Aujourd’hui et grâce à une campagne de crowdfunding réussie, le groupe messin travaille sur la sortie de son deuxième EP qui devrait être composé de quatre titres de MWTE et deux remixes.