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The Lord of the Rings : The Return of the King

Peter Jackson et son équipe pensaient avoir fait le plus dur au moment de délivrer les Deux Tours mais, une fois de plus, leurs attentes furent écrasées par l’ampleur de la tâche pour le Retour du Roi, conclusion cinématographique d’un projet étalé sur 10 ans. A chaque film ses problèmes, ses complexités, ses retards, ses prises de risque.  S’il s’agit bien du processus de composition qui nous intéresse dans ces articles, les multiples divisions travaillant sur ces (très) longs-métrages sont devenues tellement liées au fur et à mesure de la production, voir même interdépendantes, qu’il est matériellement impossible de ne pas en parler. Contextualisons. La difficulté majeure pour ce dernier opus fut la masse encore plus titanesque de matériel à éditer, travail rendu presque impossible avec quelques mois de tournages supplémentaires pour affiner certaines scènes; autrement dit, pour Howard Shore, il fallait composer de la musique pour des séquences qui n’existaient pas; écrire un soundtrack à trous. Pour pallier cela, il fut invité en Nouvelle-Zélande pour assister à ces semaines de folie (des milliers de mètres de pellicule utilisés par jour, du boulot 24 heures sur 24) et visionner les rushs pour avoir une vision d’ensemble et prendre de l’avance. Autre souci majeur résultant du surplus évoqué : la gestion du temps qui fut totalement chaotique, à tel point que toute la post-production fut terminée quelques minutes avant la date butoire de remise pour la distribution. Le résultat le plus visible et surtout, dans notre cas, audible à l’intérieur du film, c’est le nombre de chansons écrites pendant le tournage par les scénaristes et même par les acteurs (on en reparlera plus tard) mais c’est aussi la très grande réutilisation thématique dans la structure générale d’où l’importance des variations. Enfin, point de vue organisation, le squelette narratif du récit s’est élargi et complexifié; on suit 5 fils rouges principaux dans une immense variété de lieux et d’émotions; musicalement cela représente un challenge de diversification au sein d’une globalité logique s’inscrivant, qui plus est, dans une suite ordonnée. Gardez bien à l’esprit ces contraintes , vous apprécierez mieux le génie créatif de tous les artistes qui, de près ou de loin, ont apporté leur talent et leur travail à cette trilogie. Sans plus attendre, plongeons-nous, une dernière fois, dans cet univers si particulier, celui de la Terre du Milieu, son ambiance, sa magie, sa musique.
Action.Le premier plan est un zoom sur un ver de terre qu’un hobbit du fleuve dépose délicatement sur le hameçon de sa canne à pêche. Parfait contrepied que d’ouvrir ce qui est à présent devenu une gigantesque production, une industrie, par quelque chose d’aussi simple, presque anecdoctique. Ce hobbit, c’est Sméagol, 500 ans plus jeune, accompagné de son meilleur ami Déagol; on ouvre donc sur un flashback qui approfondit la relation d’amour/haine que Gollum entretient avec lui-même et qui expose la violence des attractions et des effets de l’anneau (2 de ses thèmes, ou voix, interviennent dès la première séquence, tous les événements de la Terre du Milieu sont conditionnés par ce “personnage”) sur cette créature empoisonnée par la corruption et le mal. Mélodiquement les grands motifs du Mordor écrasent très vite ce prélude assez bucolique avant de replonger dans le présent avec Frodon et Sam où les couleurs deviennent grises, la structure sinueuse, le danger est partout, la compagnie avance lentement, faiblit, les réserves de nourriture s’amenuisent; on comprend bien l’importance du son ici, un éclat nostalgique surgit dans ce nuage de notes, c’est la condensation altérée de l’hymne de la Communauté. Une modulation concentrée sur les cordes et on repasse, avec finesse, au reste des personnages principaux en visite à Isengard après la victoire finale de l’épisode précédent; le thème du Gondor, nouveau signal clé dans la partition pour cette bande originale, est glissé subtilement au milieu de la transition par un solo de cor. L’esprit de la Comté fait aussi une nouvelle apparition pleine de couleurs et d’espièglerie, on quitte les cuivres pour les bois et des cordes en pizzicato (pincées) comme toile de fond. L’entretien avec Saruman (qui n’existe pas dans la version classique du film) permet au choix du battement en 5/4 affecté à ce personnage de prendre sens, tout ce segment militaire basé sur un rythme “inabouti” est une métaphore de sa puissance éphèmère dont la décadence est mise en abîme par le basson; quelques notes stridentes s’ajoutent à ce tableau corrompu, la scène est remplie de tension et de vice. On retrouve ensuite le Rohan et sa texture si unique, si particulière; on l’aura compris ce début de film reprend l’histoire où on l’avait laissée et démarre lentement par des expositions centrées sur les personnages, leurs rapports, les enjeux et donc la musique souligne ces effets avec un enchevêtrement de thèmes déjà utilisés ou par une présence tout simplement figurative. Il y a un ton doux-amer dans cette portion du soundtrack partagé entre les réjouissances (chanson à boire de Merry et Pippin), la comédie, le suspens pessimiste et la tristesse. Au moment de retrouver le trio principal, une scène très importante voit toute la malice et toute la perversité de Gollum en conflit avec Sam, une situation qui est rendue avec une grande justesse en combinant plusieurs motifs altérés (du Mordor par exemple). C’est donc à partir de cet endroit que, peu à peu, la symphonie revêt une nouvelle fois le manteau lourd qu’elle portait pour le numéro 2 avec quelques accès de violences très courts mais extrêmement intenses (la scène du Palantir) qui permettent de concrétiser, pour le spectateur, les affrontements chaotiques à venir. Les enchaînements sont plus rapides, le découpage en fils rouge s’effectue dans le vif des thèmes employés qui virevoltent et, parfois, se bousculent. Le premier détour focalisateur sur les elfes (en retrait quasi métaphysique par rapport aux événements) amène une grâce inimitable exprimée par des chœurs et des solos de voix féminines; on doit entendre à quel point tout est lié, à quel point chaque peuple est, de près ou de loin, concerné; Arwen apporte un supplément d’âme à cette trilogie, il est vrai, plutôt masculine. Nous sommes à 33 minutes et 33 secondes de musique et un nouveau motif apparaît, celui de Minas Tirith (dont quelques esquisses peuvent être trouvées dans les deux épisodes précédents) qui se colle souvent au thème de Gandalf pour créer, sous forme d’arpèges, des séquences assez vives et parfois longues sonnant comme un souffle héroïque indomptable. A ce stade, avec tous ces moments, toutes ces ambiances déjà établies, chaque nouvelle mélodie étoffe l’ensemble formant, par la même, une variété impressionnante qui, via les miracles stylistiques de Howard Shore, peuvent se succéder sans rupture ni décalage; on a vraiment l’impression d’écouter un opéra en continu. La familiarité qui nous lie aux personnages ainsi qu’aux sonorités typiques soulignées ci-dessus permet de rendre chaque note signifiante et logique augmentant l’effet de catharsis recherché par Peter Jackson; l’immersion est devenue totale grâce à la puissante efficacité du soundtrack. Le début officiel de la guerre avec Sauron, qui s’étale sur 8 minutes (à partir de 40:09), est une réussite à part entière et illustre bien ce que je voulais transmettre en termes de complexité, de diversité et de maîtrise car on y voit un événement crucial qui réunit plusieurs fils rouges en une seule séquence; cette dernière se prolonge avec la scène des feux d’alarme, éloge du pouvoir dramatique propre au cinéma, un art qui peut s’exprimer sans texte avec une simple juxtaposition d’images doublées par une bande-son explicite faisant appel à l’imaginaire collectif et à l’esprit d’association du public. Après cette boucle narrative à la durée surréaliste (on y entend même des extraits de la Moria) qui brosse d’une seule traite l’essentiel des actions en marche, la continuité spatio-temporelle est à nouveau brisée pour un morcellement plus net, on reprend le découpage en parties distinctes pour se recentrer sur les personnages eux-mêmes; si elle conserve une certaine rapidité, cette séparation n’est plus coulée mais bien fragmentée ce qui s’entend de manière distincte. Ainsi, nous voilà auprès des Rohirims, de Théoden, Aragorn et les autres, se préparant pour la guerre, les thèmes du Rohan sont entonnés avec un focus indispensable sur les percussions. Au Royaume du Gondor (et la chute d’Osgiliath) les tonalités sont beaucoup plus ténébreuses, glauques, tendues et enfin guerrières; ici les instruments jouent de manière lourde avec une dichotomie très forte entre les pointes très graves et les lancées suraiguës qui coexistent en permanence. Le sauvetage de Faramir (le frère de Boromir et donc le fils de l’Intendant du Gondor) et de ses cavaliers par Gandalf prouve une fois encore l’intelligence du compositeur qui anime une scène d’action avec un solo vocal très doux tel un rayon de lumière qui perce littéralement tout ce brouhaha cataclysmique pour un effet redoutable. Glissement vers la quête de l’anneau, l’angoisse et le conflit rôdent, quelques répétitions frissonnantes se greffent au contour de base avant de rebasculer sur Pippin qui voit les relations difficiles entre Denethor et son fils; le Seigneur provoque son fils qui décide de se sacrifier en une mission suicide pour récupérer Osgiliath et prouver sa valeur. A ce stade nous pouvons réemboîter sur le sujet de l’implication totale des différents artistes peuplant tous les secteurs de ces films; ici Billy Boyd (Peregrin Took) chante un poème tiré du livre original sur une mélodie composée par ses propres soins la nuit précédant le tournage de cette scène et qu’Howard Shore a habillée sans fioritures inutiles pour en garder l’aspect authentique; le résultat est sidérant. De l’autre côté, Gollum réussit à semer la discordre entre Frodon et Sam, cela se marque par une sorte de cassure dans la musique, des changements inconfortables, l’hymne de la Communauté y est transposé en une version beaucoup plus triste qui joue sur l’éloignement progressif du thème vers quelque chose qui ne lui ressemble plus. A présent chez les hommes du Rohan, après l’installation du motif principal, le soundtrack entre dans une phase contemplative, mystérieuse et inquiétante (l’introduction de la mélodie de l’armée des morts qu’on entendra plus loin) avec une belle gestion du temps qui confond des pauses insouciantes et des vagues mélancoliques; c’est une partie simple mais étoffée par des contrastes (des lithanies épiques suivies de sections dramatiques ou stressantes) qui gênent le spectateur pour mieux le plonger au cœur des doutes, des sentiments complexes et ambigus animant chaque personnage. Aragorn, Legolas et Gimli font alors cavaliers seuls, ils quittent les Rohirim et se rendent au Gondor par un autre chemin, plus risqué. Cette nouvelle portion de musique affublée aux fantômes maudits que la compagnie veut rallier à sa cause se fortifie, on découvre aussi, en contrepoint, un joli solo de flûte appliqué à Merry au milieu du torrent alentour; c’est un ajout sans vrai objectif à grande échelle certes mais sa présence apporte une touche de fraîcheur dans cette partie plus lourde du soundtrack. D’ailleurs le retour à l’angoisse est immédiat, d’abord avec la scène du passage de Dimholt et l’armée des morts, ensuite via le siège terrifiant de Minas Tirith par les bataillons du Mordor qui permet également le retour de grand thèmes épiques (du Gondor principalement) lors de séquences d’action haletantes où se côtoient rythmes endiablés, crescendos furieux et chorales hallucinantes; la deuxième partie du film est enclenchée. Et la musique de lorgner peu à peu sur le terrain de la terreur pétrifiante voir même du film d’horreur (un cinéma que Peter Jackson connaît très bien). En effet, on s’aiguille vers la scène du tunnel qui voit Frodon essayer d’échapper à Shelob, une araignée maléfique géante. C’est une partie absolument fascinante à étudier. D’abord il faut savoir que le réalisateur souffre d’arachnophobie et qu’il tenait à ce que le public soit aussi terrorisé que lui par la créature. Ensuite, la volonté principale de celui-ci était de restituer l’ambiance de ce chapitre crucial de la trilogie où Tolkien décrit l’antre de Shelob comme un endroit hors du temps, tellement sombre, tellement noir que rien ne peut y survivre d’autre que le néant; il s’agit donc d’un lieu sans commune mesure, à part. Pour rendre ça visible, Jackson a tout misé sur la musique d’Howard Shore en lui demandant de réaliser un encart stylistique suffisant pour bien faire sentir qu’on glissait d’un monde fixe à un registre particulier sans pour autant affaiblir toute la structure générale préétablie. Pour ce faire le compositeur a utilisé ses anciennes techniques d’écriture propres aux soundtracks des films de David Cronenberg, son collaborateur attitré dans les années 80. Répétitions progressives de notes très proches sur la gamme, dissonances, sautes et ruptures mélodiques sont les outils employés pour cette séquence délicieusement originale au sein du corpus de base et qui, malgré tout, n’en trahit jamais l’esprit. Seul un intermède par les sons de la Lothlorien (Frodon rêve) offre une éclaircie passagère au sein de l’oeuvre qui se précipite vers les tambours et les cuivres assourdissants du Mordor avant de se repositionner sur Shelob et son combat contre Sam (l’hymne de la Communauté y fait un passage éclair); les transitions s’accélèrent et passent plus souvent par un court silence que précédemment, la segmentation est à son maximum. Du côté de Minas Tirith, Denethor a perdu l’esprit et s’apprête à brûler Faramir, qui plus est la cité est envahie par des marées interminables d’orques (des accompagnements vocaux très doux sont encore choisis comme fond sonore); soudain, Théoden et ses cavaliers arrivent sur le champ de bataille. La charge des Rohirim est un des moments les plus émouvants et spectaculaires de toute la trilogie; le thème du Rohan y est développé, décliné, il explose sous multiples formes d’une puissance incroyable et culmine avec l’entrée du violon hardanger, frissons garantis. A partir de là, les scènes à l’intérieur et à l’extérieur de la ville se déroulent selon un montage en parallèle pour plus de rythme et de tension pendant plus d’un quart d’heure (les champs de Pelennor). Au cours de cet abattage héroïque, il faut signaler une petite scène intimiste où Gandalf et Pippin discutent de la mort et qui vient littéralement couper l’affolement brutal du soundtrack de façon incroyable; cette entaille (un nouveau motif qui sera déterminant par la suite) est absolument parfaite, si délicate et si juste qu’à chaque écoute (ou vision) j’en reste sans voix. Elle précède le duel opposant le chef des Nazgul et Eowyn qu’entrecoupe l’arrivée d’Aragorn et les autres en compagnie de l’armée des morts et la musique se retrouve découpée de manière abrupte pour insister sur ce retournement de situation et la manière dont les événements se bousculent. Après la bataille vient la scène tragique et minimaliste de la mort de Théoden, les chœurs y sont essentiels. Ensuite, une nouvelle scène plutôt triste voit la guérison miraculeuse d’Eowyn et de Faramir, on y entend une chanson magistralement interprétée par Liv Tyler (Arwen). 2 heures et 36 minutes se sont écoulées avant de réellement se focaliser sur l’anneau, Frodon et Sam qui occupent la majorité des scènes jusqu’à la fin, soit à l’écran, soit dans les dialogues des autres personnages principaux ou encore par l’apport, en sous-texte, de petites touches musicales typiques. On observe une montée progressive regroupant, petit à petit, les grands thèmes de la trilogie, les mélangeant quelques fois (surtout ceux des peuples libres en opposition directe aux motifs de Sauron etc); tous ces assemblages de notes sont invariablement triturés, différemment orchestrés, déconstruits ou rallongés d’une façon redoutable qui colle à la dramaturgie de l’histoire. Ce cumul ahurissant de matériel symphonique marque un temps d’arrêt judicieux avant de se déchaîner. A nouveau, un montage alterné nous montre à la fois la bataille de la porte noire et l’escalade de la montagne de feu mais, contrairement à la mécanique choisie plus tôt dans le film pour le même procédé, la musique est suivie, se confond d’un plan à l’autre. Toute cette séquence, qui s’étale sur une bonne vingtaine de minutes, exhibe tout le talent de Howard Shore, son génie atteint des proportions carrément astrales tant il fait preuve de contrôle; chaque décision, chaque éclairage, chaque instrument, chaque détail se recoupe et forme un puzzle mélodique déchirant, lyrique, sensationnel. Les effets fonctionnent, les sentiments débordent, le soundtrack se cabre en tous sens avant un dernier sursaut épique au moment de la destruction de l’anneau. On pense alors avoir tout vécu, mais c’est mal connaître Peter Jackson et son équipe; ils nous offrent des résolutions en cascade pendant presque 40 minutes; le temps nécessaire pour tous les adieux, toutes les conclusions où le motif introduit pendant le dialogue entre Pippin et Gandalf devient central (il est même au centre de la chanson du générique chantée par Annie Lennox). La bande son est arrivée à un seuil de perfection totalement intraduisible en mots ou en phrases et glisse avec une fluidité remarquable d’une scène à l’autre, animée de chansons, de reprises mélodiques, de sections chorales encore plus divines, s’offrant même le luxe de quelques nouveautés (le thème de Rosie par exemple). Rien que le fait d’écrire ces lignes me submerge d’émotion devant une telle réussite non seulement cinématographique mais aussi musicale. Le soundtrack du Seigneur des Anneaux, c’est 5 ans de travail, c’est virtuellement une centaine d’artistes issus des quatre coins du globe, c’est de la passion et de l’amour offerts à un projet qui en valait la peine; il dépasse de loin son cadre filmique, je le considère comme un chef-d’oeuvre indépendant digne des plus grands compositeurs classiques. Cet opéra monumental de 10 heures se termine avec une simplicité confondante, par la plus petite porte imaginable, comme il se doit…
Fin.

The Lord of the Rings : The Two Towers

Après le succès critique et en salle du premier opus, une certaine pression médiatique s’est installée sur l’équipe de post-production de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Quand on demandait à Peter Jackson ce qu’il comptait faire pour le deuxième film, le réalisateur répondait laconiquement : “je dois m’assurer que celui-ci soit meilleur que le numéro un”  ; et on pourrait croire que tout était en sa faveur vu les importantes retombées économiques de l’installation précédente; il n’en fut rien. Outre les attentes, ce sont les délais qui ont posé le plus de problèmes tant logistiques qu’artistiques; la version cinéma complète devait être livrée aux studios moins d’un an après la sortie de La Communauté de l’Anneau; une gageure s’il on considère l’échelle énorme du projet ainsi que les innombrables procédures de montage et d’editing nécessaires. Autrement dit, le travail des sections concernées s’annonçait démesuré pour ne pas dire herculéen. Et, bien entendu, la composition s’est transformé en champ de mines parfaitement chaotique. Petit résumé des complications liées au processus avec cette emphase sur le timing. Tout d’abord, par logique, Howard Shore ne put conserver qu’une petite portion des thèmes utilisés précédemment (seulement un quart d’heure a été réutilisé sans modifications) et ce pour plus de fraîcheur dans le soundtrack. Ensuite, il fallait écrire la bande son pour des scènes qui n’étaient même pas terminées, encore changées ce qui amenait à des variations au jour le jour et à des réenregistrements continus. De plus, ces quelques minutes, une fois animées par la musique, devaient être approuvées par Peter Jackson lui même avant d’être définitivement introduites en salle de mixage pour les incorporer à la bobine finale. Disons que d’une certaine manière le soundtrack ne bénéficiait plus d’une vision globale préétablie en raison de ces délais mais devait s’effectuer en cours de cheminement musical. Le tout (montage, composition, editing, enregistrement, mixage) se déroulait en simultané sur trois continents par des appels longue distance, des vidéo-conférences et nécessitait une dizaine de groupes aux fonctions bien établies qui étaient coordonnés 24 heures sur 24 (une mini-entreprise publique). Dans cet imbroglio technique et managérial où chaque seconde est un enjeu, où le stress est permanent, comment trouver l’inspiration juste ? Comment se distancier d’un quotidien aux détails concrets envahissants pour libérer son intuition et diriger son talent de manière efficace et artistiquement valable ? C’était un nouveau défi à part entière qui complexifiait une démarche à l’origine périlleuse compte tenu du matériel de base, je vise ici les difficultés inhérentes à la fabrication d’un film intermédiaire. Si, en littérature, un numéro 2 fonctionne en transition directe sans la moindre entrave, le même fil conducteur adapté au medium cinématographique ne s’y prête pas du tout, il ressemble à une entreprise inachevée. Car, en effet, on se retrouve, en principe, avec un film sans début ni fin ce qui passe toujours mal à l’écran où on cherche à former une boucle narrative cohérente et qui perd souvent le spectateur surtout si l’on aborde un synopsis aussi compliqué. Dés lors, il s’agira, tant pour les scénaristes que pour les musiciens, de trouver l’équilibre parfait entre l’information, la nouveauté, les développements; il faudra également ajuster la configuration multiple du récit qui se fragmente à partir des Deux Tours puisque la Communauté est totalement dispersée aux quatre coins de la Terre du Milieu. Nous allons voir comment le soundtrack va véritablement jouer ce rôle unificateur et informatif en sous-texte auditif complémentaire du déroulement épisodique de l’action tout en poursuivant son chemin esthétique propre avec un langage toujours plus diversifié.
C’est parti. Le film commence par une courte introduction en flashback montrant la suite du combat entre Gandalf et le Balrog. Quelle manière idéale pour lancer cette histoire avec à la fois le rappel d’un événement crucial de l’épisode précédent et une scène d’action qui captive le spectateur dès les premières minutes (ce qu’on pourrait appeler la recette ou l’effet James Bond). La bande-son peut donc se construire sur un mode plutôt contemplatif ou descriptif en réminiscence d’un segment préétabli. Après cette entrée en matière sur de véritables charbons ardents, deux thèmes essentiels de ce numéro 2 sont esquissés (celui du Rohan d’abord et celui de Gollum) puis l’orientation bifurque sur les tons âpres et lents de la route empruntée par Frodon et Sam (malgré un rappel attendri de la Communauté). Mais revenons sur Gollum/Sméagol; il s’agit du personnage le plus ambigu de l’histoire et sa psychologie est extrêmement intéressante, une bipolarité qui s’exprime par une double signature mélodique qui utilise un cymbalum, un instrument proche de la cithare (faite de mélancolie d’un côté, plutôt sournoise et pernicieuse de l’autre) et à laquelle se greffent quelques notes du thème de l’anneau comme pour signifier un lien immuable entre l’objet et son ancien porteur. Il est souvent répété ou mélangé avec d’autres phrases dans ce tout début de film centré sur la quête principale du récit. Quand on abandonne ce fil rouge pour rejoindre la poursuite effrénée entre les Uruks (qui ont pris Merry et Pippin en otage) et le trio Aragorn, Legolas, Gimli, de l’urgence et de l’intensité dynamisent l’ouverture au quart d’heure par l’intervention du grand thème aventurier qui débouche sur une deuxième courte apparition de celui affublé au Rohan. Ensuite, pour mieux rappeler aux spectateurs les différentes forces en jeu, on se plonge dans le monde des antagonistes avec un panorama symphonique reliant le Mordor et Isengard qui sont mis en parallèle par des croisements de motifs. Accords militaires et rythme agressif reflètent une menace réelle qui pèse sur l’innocence victime focalisée dans la partition par des chœurs langoureux et tristes que circonscrit une violence écrasante. Transition pour Edoras où se mêlent des séquences auditives héroïco-dramatiques et d’autres plus sinistres, on est dans un monde froid, éteint, typiquement wagnérien (ce passage ressemble beaucoup au thème des Nibelungen dans la célèbre quadrilogie opératique du compositeur allemand dont les événements sont très proches de ceux racontés par Tolkien). Après, nous avons droit à une nouvelle scène d’action qui permet de voir toute l’importance de la diversité dans le travail d’orchestration (l’agencement des instruments entre eux) débouchant, par l’entremise d’une transition à peine audible, sur la rencontre entre les cavaliers bannis du Rohan (les Rohirrims) et le trio évoqué précédemment où la tension et la fatalité règnent sur l’ambiance; cet épisode, comprend le public, est résolument sombre et très pessimiste. La musique de Fangorn (la forêt étrange où vivent les Ents) relève plus d’une construction formelle générale que d’une mélodie; pour rendre l’ancienneté et le parfum de cet endroit, le compositeur a beaucoup travaillé sur les percussions et, plus spécifiquement, sur l’utilisation de nombreuses pièces de bois plus ou moins épaisses pour créer une texture très originale et spécifique à laquelle on peut rattacher les images et les concepts sans effort. Quand on retourne, enfin, à la quête de l’anneau, le soundtrack s’assombrit, devient plus lent, plus angoissé et sans prévenir (comme l’histoire) explose de façon assez brutale dans la terreur pour chaque danger, chaque signe, même éloigné, de Sauron et de son pouvoir monstrueux ce qui permet une emphase judicieuse sur le parcours des hobbits et le caractère pratiquement impossible de leur mission. Cette alternance voit jouer en permanence trois thèmes : celui du mal, celui (à deux facettes) de Gollum et celui de la Comté ou de la Communauté pour les hobbits; motifs triturés, changés, rénovés en continu tout au long du récit pour marier fraîcheur et cohérence. Le retour de Gandalf sous une nouvelle forme (le magicien blanc) donne un tonus supplémentaire aux événements marqués par de nombreuses glissades féeriques, doux mélange entre l’ancien son de sa forme grise et des accents plus elfiques pour signifier son appartenance à un rang plus élevé de créatures par son sacrifice dans la Moria. Le motif de Gandalf le Blanc qui parcourt les plaines sur son cheval est l’un de plus beaux et des plus utilisés pour cet opus. On sent une vigueur renouvelée dans l’inspiration d’Howard Shore qui ose encore plus le lyrisme teinté, par endroit, de candeur (concentrée sur les personnages de Merry et Pippin et donc accompagnant les ambiances de Fangorn), sortes de bulles d’air au cœur d’une tragédie épique relativement ténébreuse. Un détour aux côtés des elfes, peuple arrivé à l’hiver de sa civilisation, offre un coin de nostalgie et de profonde tristesse au déroulement de l’action coupé net par l’arrivée de Frodon, Sam et Gollum à la Porte Noire qui voit le même mécanisme expliqué plus haut se mettre en forme avec puissance et subtilité (la gestion musicale du suspens est superbement maîtrisée). Le dépassement de la première heure amène un nouvel instrument à l’orchestre (déjà conséquent), le violon Hardanger de tradition norvégienne associé au Rohan, à son Roi (Théoden) et à ses guerriers; on rencontre cette ethnie avant même sa véritable apparition écranique par l’entremise de la bande son qui l’associe aux vikings et, en quelque sorte, à une version métissée des anglo-saxons archaïques (nous verrons à quel point dans quelques instants). Cependant le thème en question n’est toujours pas pleinement révélé, il ne s’agit en rien d’un jeu de cache-cache mais bien d’une signification esthétique précise car elle met en perspective l’emprisonnement psychique de Théoden dont l’esprit est tombé par l’entremise de Grima, son conseiller au service de Saruman. Une fois passée la scène d’exorcisme du souverain (qui, par ailleurs, voit une belle juxtaposition de motifs antagonistes et de rythmes), son thème est entendu avec une force gigantesque qu’on ne lui connaissait pas ce qui ajoute de l’importance à ce passage et introduit clairement le personnage. L’efficacité de la répétition avec une intensité croissante d’un même enchaînement de notes est idéalement exploitée ici. L’enterrement de Théodred (le fils du roi) qui ne figure pas dans la version cinéma classique du film, permet d’apprécier le souci du détail qu’accordent les artistes à leur travail : en effet on peut y entendre une chanson mortuaire dans la langue fictive créée par Tolkien sur le modèle d’un anglais moyen-âgeux proche de celui utilisé pour la fameuse Légende de Beowulf que psalmodie Eowyn (la nièce du roi); or, et c’est assez technique, la métrique des vers est aussi appliquée dans le fond sonore qui est scandé comme un poème avant de revenir sans lourdeur au corps mélodique principal. Ce dernier évolue comme un voyageur inarrêtable avec une suite de moments posés qu’entrecoupent certaines montées dramatiques ou bien héroïques. Dès que le spectateur pourrait se sentir “à l’abri” ou en perte d’intérêt, la tension est systématiquement au rendez-vous pour redoubler l’excitation par les enjeux, par le danger qui s’exprime en pointes stridentes ou en grondements sourds. S’ajoute alors un autre encart qui nous ramène auprès des héros principaux où le thème plus enjoué de Sméagol prend le pas sur son contrepoint négatif mais reste écrasé de ces couleurs grisâtres entourant les trois voyageurs, empoisonnés qu’ils sont par le pouvoir de l’anneau toujours présent au cœur de la musique; scènes débouchant sur la capture des hobbits par une compagnie du Gondor que dirige Faramir (le frère de Boromir) et qui annonce déjà quelques notes des motifs qui sont associés à cette culture. Sur la route entre Edoras et le Gouffre de Helm, Aragorn vit un long flashback qui approfondit sa relation sentimentale avec Arwen, permettant un retour aux sonorités plus aériennes, plus étiolées du monde elfique qu’on étoffe avec une langueur supplémentaire. L’histoire amoureuse prend une dimension quasi existentielle pendant ces quelques instants où prévalent de sublimes solos féminins accompagnés par des choeurs. Ce segment appelé Evenstar (qui démarre après 1 heure 34) est pratiquement une oeuvre à part entière pour plusieurs raisons : la mélodie est inhabituellement longue (plus de 4 minutes !) et s’articule comme un morceau indépendant, son rythme est beaucoup plus lent, c’est un espace serein, hors du temps (le monde fictif et dégagé du souvenir ou du fantasme); tant de singularités qui en font une réussite brillante ainsi qu’une façon idéale pour conclure gracieusement la première moitié du film. Après, un enchaînement direct conduit à une nouvelle scène d’action qui booste soudainement le soundtrack avec un melting pot thématique saisissant. La bataille terminée, on retourne au ton général plutôt lugubre de l’ensemble. Très intelligemment (depuis l’intermède Arwen), les sonorités de Fondcombe et de la Lothlorien se mêlent de plus en plus au déroulé symphonique; je dis très intelligemment puisque, non-seulement, les elfes auront un rôle essentiel pour le combat final de cet épisode, mais aussi parce que leur extériorité apparente face aux événements par la suite est déjà contrée par la musique (ce sera essentiel pour le dernier film). Et juste au moment où on pourrait croire que l’on stagne dans une seule partie du monde, on retrouve nos hobbits en mauvaise posture via le thème central de l’anneau qui agit comme un point d’appui permettant une combination des motifs Gondor, Mordor, Comté, Gollum remplie de mystère (par endroits on peut parler d’expérience claustrophobique). S’ensuit un très long build-up vers la fameuse séquence climatique des Deux Tours, la bataille du Gouffre de Helm. Cette progression est bardée de moments intimistes, tragiques, pessimistes, héroïques, angoissants; on est dans un véritable ascenseur émotionnel superbement équilibré dans une graduation linéaire surprenante. La dernière partie est construite sur un modèle de va et vient entre les combats, la situation progressivement catastrophique de Frodon et Sam ainsi que le conseil des Ents qui décident s’il doivent, oui ou non, prendre part au conflit. Le tout fonctionne comme un tableau épisodique à trois ouvertures qui se reflète à merveille dans la partition en un crescendo permanent où l’utilisation des chœurs se révèle déterminante. Laissez-moi insister sur trois moments particuliers (les dénouements pour chaque fil rouge du récit) : d’abord l’arrivée de Gandalf et des Rohirrims qui est LE passage le plus épique de tout cet opus; ensuite la marche des Ents qui voit le développement d’un court thème entendu dans la Communauté de l’Anneau (Gandalf le Gris prisonnier en Isengard qui envoie un messager volant prévenir les aigles) et qui devient ici un vrai hymne de la nature; enfin la mise en perspective de l’histoire dans l’histoire à travers le monologue de Sam. L’explosion de motifs à l’orchestration tourbillonnante se recroqueville sur elle-même pour retomber dans l’univers sombre, ce n’est pas la fin de l’histoire et il faut le souligner musicalement pour mieux tenir le spectateur en haleine; on doit entendre qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir, que l’horizon est encore nappé d’une immense incertitude.
A suivre…
!!! Vidéos youtube par film supprimées : l’entièreté du soundtrack de la trilogie dans sa version longue est disponible à la fin du 3e article.

Inside Llewyn Davis

Si vous aimez la musique folk, les histoires d’artistes saugrenues et les années d’après guerre cet article est fait pour vous ! En effet, nous allons traiter d’un film récemment sorti, j’ai nommé Inside Llewyn Davis

Nous traitons ici d’un artiste fictif s’appelant Llewyn Davis, joué par l’excellent Oscar Isaac. Ce looser (ouioui, avec un double o) squatte les canapés de ses amis, de son ex, ainsi que l’habitat de ceux qui apprécient sa musique. Pour survivre, il joue ses quelques titres dans le bien connu Greenwich Village à New York et enregistre à l’occasion en studio en tant que guitariste.
Bref, ce film nous mène à l’épopée d’un artiste tenant à se faire connaître malgré le contexte socio économique difficile… En voici un petit aperçu en image

Plus que l’histoire même (qui ne peut qu’émouvoir tout spectateur de bon film musical), c’est un voyage également musical dans lequel les frères Cohen nous emmènent, celui du monde folk. La bande son est en effet hallucinante et variée.

Nous commencerons par le morceau sur lequel Oscar Isaac joue avec le bien connu Marcus Mumford (des Mumford & Sons), reprise de Dink’s Song de Bob Dylan (son esprit révolté est présent à travers tout le film). Bien que fort mélancolique, on peut s’imaginer facilement le retour des champs de batailles européens d’antan…

Pour continuer cette B.O riche en émotions nous avons choisis la sympathique (et bien plus joyeuse) reprise de Mickey Woods qui est une chant de contestation de guerre que l’on voit Oscar Isaac enregistrer « à l’ancienne » en studio en compagnie de deux musiciens/chanteurs. Vous trouverez ci-bas  un extrait la version originale (moins Rock ‘n Roll que celle du film).

Notons ensuite la présence de Justin Timberlake sur le titre 500 miles. Originalement chanté par Peter, Paul & Mary cette chanson s’avère une des scènes les plus emblématiques du film. En effet, elle reflète à merveille l’ambiance des clubs folk d’autrefois, sombres et rustiques tout en respirant la mélancolie…

Terminons en beauté avec la chanson de fin de film. Emblématique, c’est cette dernière qui rendra au film tout son coté réaliste. En effet, lors de sa dernière représentation dans « son club, Llewyn Davis précède un jeune homme au cheveux crépus portant un chapeau et jouant de l’harmonica. Llewyn ne tarde pas à critiquer ce jeune homme « prétentieux qui ne raconte absolument rien » et « qui n’ a l’air de rien avec sa clope au bec ». Cet aire est pourtant un des plus connus du film. Il s’agit de la crème de la crème, j’ai nommé Farewell

Pour ne pas vous dévoiler toute l’intrigue du film, nous nous en arrêterons là pour ce qui est de la bande son. Nous ne pouvons que vous conseiller d’aller voir le film le plus rapidement possible et d’en apprécier l’essence : La musique pour l’image ou l’image pour la musique ?

Road to Perdition

1930. La Mafia irlandaise à Chicago est en plein essor, sous l’égérie de la famille Rooney. Michael Sullivan, incarné par Tom Hanks, en est un des plus fidèles serviteurs, car il a été élevé par John Rooney, patron de l’organisation. Un soir, le fils de Michael est témoin d’un règlement de compte mafieux perpétré par son père. L’ordre est alors donné : la famille Sullivan doit être éliminée pour ne pas risquer la dénonciation. C’est ainsi que démarre l’aventure de Michael Sullivan et de son fils aîné, traqués par un tueur à gages quelque peu dérangé…

road_to_perdition

Il n’en fallait pas plus pour donner l’inspiration au compositeur Thomas Newman, qui aura su donner une dimension absolument épique à l’oeuvre de Sam Mendes. Ce n’est d’ailleurs pas la première association entre les deux hommes : le film American Beauty”, sorti en 2001, avait déjà bénéficié de cette union magique. Dans “Les Sentiers de la Perdition”, à travers des thèmes intenses reflétant avec exactitude les sentiments exprimés visuellement par les acteurs, Thomas Newman nous téléporte instantanément dans l’univers particulier de la mafia irlandaise des années ’30.

En effet, lorsqu’on s’intéresse de plus près aux instruments utilisés dans l’orchestre, deux détails nous “sautent aux oreilles”, si j’ose dire. Premièrement, l’utilisation de la flûte irlandaise traditionnelle évoque naturellement les racines des personnages. Associée à un hautbois, commence alors un véritable dialogue entre les deux instruments, exprimant la relation père-fils se renforçant tout au long du film. Deuxièmement, l’harmonie entre les violons et le piano instaure un double effet, selon les gammes utilisées : une tension, soulignant la traque impitoyable que subissent les Sullivan, mais également la tranquilité à laquelle aspirent nos héros.

L’harmonie entre le son et l’image est telle que même lorsque les silences sont présents, on a toujours l’impression que c’est Thomas Newman qui en est à l’origine… C’est d’ailleurs une des grandes qualités de Sam Mendes, qui utilise judicieusement les silences pour appuyer l’intensité scénaristique de ses oeuvres. Une telle entente entre un compositeur et un réalisateur est rare, surtout quand il s’agit d’exprimer à la fois le cadre visuel et les sentiments des personnages évoluant en son sein.

Et lorsqu’il s’agit de personnages hors du commun, le résultat est à la hauteur de l’attente. Prenons par exemple Harlen Maguire, mystérieux photographe de scènes de crimes incarné par Jude Law, dont le thème délimite avec exactitude les frontières lointaines de sa folie intérieure. Mais une démonstration vaut mieux qu’un long discours, je vous laisse donc vous faire votre propre idée par rapport au personnage, sans oublier la performance étincelante de Jude Law qui sied à la mélodie que voici :

En définitive, l’oeuvre vit à travers une sorte de relation symbiotique entre l’image et le son. D’une part, les mélodies composées par Newman évoquent parfaitement le cadre historique et psychologique dans lequel évolueront les acteurs, et d’autre part, le scénario original et les personnages insolites de Mendes sont les réceptacles les plus adaptés au flot musical qui y est déversé. N’hésitez donc pas à arpenter Les Sentiers de la Perdition pour un voyage étrange au coeur de la conscience humaine.

“When people ask me if Michael Sullivan was a good man, or if there was no good in him at all, I tell them….he was my father.” – Michael Sullivan Junior

La Belle et la Bête

Imaginez la France dévastée de l’après guerre, Août 1945, un pays à reconstruire, tout va changer, un conflit de cette ampleur laisse inévitablement des traces et le retour à la vie est long, coûteux. Alors tourner un film dans un contexte semblable, par quels moyens ? Jean Cocteau (1889-1963), le poète, le surréaliste, n’y voit pas le moindre inconvénient; ou, peut-être, refuse-t-il d’en voir, malgré le déclin de sa santé, malgré l’argent qui brille par son absence, malgré les critiques impatients de tirer sur l’ambulance. Et le projet n’est pas mince, il est lourd d’ambition, adapter un grand classique, “La Belle et la Bête”. Contrairement à son homonyme animé de 1991, ce film n’est pas du tout destiné aux enfants. La version de Cocteau brosse un portrait plus large et mature des relations entre la Belle et la Bête où la peur se combine avec la sensualité. Un autre aspect du scénario est plus philosophique, outre le thème principal qui aborde les apparences et les frontières de préjugés qui séparent les êtres, il exploite aussi le passé du monstre avec une conclusion inquiétante : n’importe quelle personne ayant vécu une enfance malheureuse peut devenir une “bête”, perdre son humanité (le parallèle avec les horreurs du totalitarisme est évident). Ces différentes lignes rouges du projet établies, la mise en oeuvre devait sans cesse accomplir la vision de l’artiste, à commencer par les décors, tortueux, fantasmagoriques, ensuite par des effets spéciaux déstabilisants (dans quelques scènes, Belle semble flotter, comme mystérieusement attirée par une force magnétique), enfin par le choix des acteurs, Josette Day (1914-1978) et Jean Marais (1913-1998), aux physiques typés. Mais, finalement, c’est toute l’imagerie du film qui surprend, un visuel reprenant une série de symboles; par exemple, les mains de la Bête projettent de la fumée, illustration du fait qu’il a commis un meurte; on peut encore citer la scène où Jean Marais, dont le maquillage est époustouflant, porte Belle dans

daliyoungsa chambre, elle arbore une simple tenue d’un côté et une robe de princesse de l’autre. Pour mieux caractériser le rendu esthétique complet d’un tel produit cinématographique, on peut dire qu’il s’agit d’un mélange complexe entre le gothique, le baroque et une pointe de Salvador Dali. Si je m’attarde à ce point sur ces détails, c’est parce que la musique, composée par Georges Auric (1899-1983), se vit comme un écho fidèle de l’atmosphère générale du film. Le résultat final, sensationnel, qui arriva dans les salles obscures en 1946, est encore considéré aujourd’hui comme un des meilleurs films fantastiques jamais réalisés. Les adjectifs souvent utilisés pour décrire une oeuvre pareille s’appliquent, bien entendu, au soundtrack que je vous présente. On parlera de poésie, de splendeur, de tendresse, de beauté lyrique. Mis à part son reflet de l’histoire et des images, le génie de la création musicale écrite pour le film réside dans son modernisme et sa justesse descriptive; je m’explique : les mélodies fluides et les harmonies éthérées arrivent tellement bien à provoquer des ambiances, à souligner des non-dits, à relever des sentiments, qu’elles ont transformé une simple bande originale en parfait archétype, conférant un mordernisme absolu à l’ensemble. La manière d’exposer la terreur, l’angoisse, les moments de grâce, la passion romantique, la bizarrerie poétique, sont presque des signatures définitives pour le genre. Aussi, les plus cinéphiles d’entre vous auront, peut-être, le long de votre écoute, une impression étrange, une sorte de “déjà entendu” qui traduira simplement ce que je viens d’expliquer (les inconditionnels de Tim Burton seront, probablement, les plus troublés). La plupart des compositeurs de soundtracks qui écrivent une partition pour un film fantastique de nos jours sont, même inconsciemment, les héritiers de cette époque, de cette oeuvre extravagante; un chef d’oeuvre hors du temps, grandiose, un tour de force qui déborde littéralement de magie avec élégance et impétuosité. A très bientôt mes chers lecteurs.

The Hours

Je me suis enfermé dans une idée fixe, vous parler de cette musique, celle du film “The Hours”.  C’est en 2002 que le réalisateur Stephen Daldry (1960) adapte le roman du même nom, Prix Pulitzer 1999, écrit par l’américain Michael Cunningham (1952). Je me suis convaincu avec enthousiasme qu’il fallait aborder ce film et maintenant que je m’y attèle, allez savoir pourquoi, aucun angle, aucune perspective particulière ne se présente à mon esprit. Pourtant les possibilités sont réduites : résumer le film, parler du compositeur, évoquer mon ressenti; le seul problème c’est qu’aucun ordre ne me semble plus adéquat, plus justifié qu’un autre, les différents points de vue ne se rejoignent pas dans ma recherche comme d’habitude. La plupart du temps je réunis un ensemble de détails pertinents pour construire mon avis personnel et en dégager une analyse pluridimensionnelle; j’explore les nombreux aspects qui conditionnent l’oeuvre finie et ce qu’elle me procure comme sentiments. Ici, les éléments ne collent pas, ils me paraîssent autonomes, indépendants… Je vais procéder sans méthode, écrire ce qui me vient. Si ça vous semble confus, incohérent, ne soyez pas trop durs avec l’auteur déstabilisé qui s’exprime en ces termes, il vous avait prévenu. Trois choses m’inspirent par-dessus tout, la beauté (féminine en particulier), le nature, la musique. Un poème s’est dicté à moi alors que j’écoutais ce soundtrack hypnotique; le voici :

   Il y a quelque chose, un ton inévitable

accroché au temps qui s’égraine en continu;

nous le traversons, une masse imperméable,

avec léthargie, et, soudain, il nous rattrape

cinquante ans plus tard, une sensation ténue

au fond du regard délavé qui nous échappe

sur le coin poussiéreux et triste d’un miroir.

 On regrette alors, nostalgique, les non-dits,

les trop-dits; d’avoir vécu par interdits,

d’être à présent un condensé de long tiroirs.

Quelle richesse une seconde et quel tourment

s’y cache, impérial, quand on peut la ressentir,

quand rien d’autre n’existe. Un enchevêtrement

mélangé de personnes et de couleurs surgit.

Les heures allongent en nous – il doit bien retentir –

ce baiser fugace aux consolations rougies

de la mort en marche. On se consume tout doux,

avec ou sans amour et plus ou moins de panache;

écoutons le temps qui passe et, serein, détache

les mots, les gestes, les images, mes yeux flous…

Ce n’est pas un chef-d’oeuvre mais je n’arrive pas à exprimer autrement mes pensées. Tout est là, il manque juste cette impression personnelle d’être en équilibre instable, comme un funambule sur un fil qui ne s’arrête jamais, sans origine et sans point d’arrivée. Le compositeur Philip Glass (1937) est un héritier du minimalisme et, par ailleurs, le film lui-même est plutôt épuré. Trois femmes, trois époques, trois instants de leurs vies respectives liés entre eux par un roman. En 1941 dans le Sussex, l’écrivain Virginia Woolf (1882-1941) remplit les poches de son manteau avec des pierres et marche dans un cours d’eau pour s’y noyer; Los Angeles, 1951 cette fois, Laura Brown a pris une chambre d’hôtel, dans son sac, plusieurs médicaments; enfin nous sommes à New-York en 2001 et Clarissa Vaughan regarde son ancien amant au bord d’une fenêtre ouverte, il se décide, est-ce que je me laisse tomber ? “The Hours” a reçu de nombreux prix, le casting est magistral : Meryl Streep (1949), Nicole Kidman (1967) qui obtint pour sa performance l’oscar de la meilleure actrice, Julianne Moore (1960) et Ed Harris (1950). Le son, une mélodie sans fin, est somptueusement nécessaire à la réussite de ce film, à tel point qu’on oublie sa présence. Arrivé au bout de mon écriture, j’éprouve le besoin de faire participer un second rédacteur de la team pour ajouter une nouvelle sensibilité à cet article; je veux illustrer la richesse de cette musique, ses nombreuses facettes. Laissons quelqu’un d’autre conclure, sans transition, ma presque-analyse. J’ai attribué cette tâche à Alexis Lutters (alias L.A.) : “On ressent un sentiment de lourdeur mais à la fois de légèreté. On entend le temps s’écouler, sans pouvoir l’appréhender, en s’y perdant. On est suspendu à la mélodie au-dessus d’une sorte de vide brumeux, et l’énergie transmise par le morceau apparaît intemporelle. Les notes suggèrent un destin tragique aux abîmes de la folie. L’apogée lumineuse et haletante de la fin du morceau nous laisse dans une impression de rêve dont on a gardé des souvenirs précis, en nous faisant nous remettre en question : était-ce vraiment un rêve ?”

Close encounters of the third kind

Plus qu’une nécessité, comprendre les enjeux d’un film pour saisir le sens de sa musique est une évidence et ce de manière véritablement critique lorsqu’il s’agit d’écouter le soundtrack sans contrepoint visuel. Certaines mélodies sont devenues tellement incorporées dans l’inconscient collectif qu’après quelques notes elles suggèrent un personnage, une scène, une ambiance et se passent facilement d’explications détaillées, tant le son participe parfois à créer l’identité d’une oeuvre cinématographique. En 1977, le compositeur, désormais culte, John Williams (1932) impregna de son talent hors normes deux projets tentaculaires pour lesquels il reçut une série de récompenses amplement méritées. Les films en question étaient “Star Wars” de Georges Lucas (1944) et “Close encounters of the third kind” de Steven Spielberg (1946). Pas la peine, il me semble, de vous décrire en long et en large la

rencontre du 3ieme type

musique du premier, oscar 1978 du meilleur soundtrack; la simple mention de Darth Vader ou de Yoda devrait suffire. A bien des égards, analyser “Close encounters” est beaucoup plus intéressant. Un petit résumé du synopsis s’impose peut-être pour ceux d’entre vous qui n’ont pas eu la chance de voir le film. Claude Lacombe, un scientifique français spécialisé dans le paranormal, son interprète et une équipe gouvernementale de chercheurs enquêtent dans le désert de Sonora au Mexique sur la découverte d’avions de guerre disaprus et retrouvés en parfait état sans le moindre signe des pilotes, leur attention se dirige ensuite vers une série d’autres phénomènes imputés à des OVNI; dans le même temps, en Indiana, Roy Neary, un réparateur de câbles voit un vaisseau spatial, tandis qu’à quelques kilomètres de là, un enfant est enlevé par une soucoupe volante sous les yeux de sa mère, Jillian; elle et Roy ont des intuitions, de plus en plus fortes et précises, à propos de l’existence d’un lieu énigmatique où est supposée se dérouler une rencontre du troisième type… Il faut savoir que l’écriture du projet s’est faite à l’envers, le réalisateur et son équipe ont commencé par la scène finale. Steven Spielberg précisait dans une interview : “Dés le début l’idée de communiquer musicalement était très présente. Les mathématiques semblaient un moyen logique pour contacter une nouvelle espèce venue d’une autre planète mais on s’est dit que ce serait génial d’avoir des maths plutôt musicales issues d’un ordinateur et que la communication se réaliserait du coup à l’aide de lumières, de couleurs, de sons”*. Il fut alors établi que les personnages utiliseraient une série de 5 notes, un court thème, la base de nombreuses variations modulables dans le climax du film et donc dans le soundtrack. Ce n’est pas une innovation au sens strict puisqu’un florilège de compositeurs classiques ont utilisé cette méthode à travers les âges, procédé qui permet entre autres d’établir un facteur d’unité mélodique dans l’écriture. Insistons, cependant, sur le fait que plus de 134 000 combinaisons étaient possibles, une seule fut choisie après de longues tergiversations, elle est à présent l’une des signatures musicales les plus instantanément reconnaissables du cinéma. Outre cet aspect technique, la musique d’un film doit aussi en soutenir le message. “Close encounters” est construit sur plusieurs thèmes : la curiosité, le génie scientifique, le développement humain, la candeur optimiste, les obsessions et, de façon plus significative encore, le pouvoir de la communication au service de la tolérance. Le résultat est spectaculaire. Entre le mystère, le suspens, la magie, les mélodies sont intenses et comportent une beauté céleste, renforcée par des harmonies subtiles, agréables, osées. Evidemment, toutes ces qualités s’additionnent pour donner au tout une dimension épique extraordinaire. Ajoutons encore qu’il se dégage par endroits, une impression aérienne, presque divine, d’osmose, d’accomplissement absolu comme la découverte d’une paisible splendeur; sentiment qu’exploite à merveille les cordes à l’unisson ou l’écho des choeurs qui flotte un peu partout. Un dernier détail croustillant qui m’arrache un sourire à chaque écoute, c’est l’utilisation, dans l’épilogue, de la fameuse chanson “When you wish upon a star” ou “Quand on prie la bonne étoile”, en français, tirée du classique de Walt Disney “Pinocchio” (1940), petit clein d’oeil ou métaphore, peu importe, c’est savoureux.espace 2 La musique de “Close encounters” n’est pas un simple support du film, c’est un personnage à part entière, une allégorie de ce qu’il se passe à l’écran, le véhicule parfait d’un dialogue vers l’inconnu, vers les étoiles. A plus tard, très chers lecteurs !
*Petite info triviale : le divorce de ses parents a profondément marqué Steven Spielberg. Son père était ingénieur informatique, sa mère, pianiste… Il semblerait que le réalisateur soit parvenu, consciemment ou non, à les réunir dans son film grâce aux deux éléments conjoints qui permettent de communiquer avec les aliens, la science et la musique.

Parenthèse

sigur ros album cover

Sigur Rós*est un groupe islandais de musique post-rock formé en 1994, surfant alternativement sur des vagues “ambient” et “dream pop” à travers leurs albums. A l’affiche du Rock Werchter 2013, le groupe est surtout connu pour ses harmonies éthérées, ses atmosphères oniriques et une esthétique générale plutôt minimaliste. Pour toutes ces raisons, leurs productions ont souvent été employées dans des musiques de films comme Vanilla Sky de Cameron Crowe en 2001, pour des documentaires naturels (en particulier sur la BBC), ou encore pour diverses bandes annonces. Bien sûr, l’étendue de la valeur artistique de ce groupe dépasse son utilisation dans les médias, elle dénote également une virtuosité particulière dans la fabrication de sonorités inventives et mérite qu’on s’y intéresse beaucoup plus. En 2002, Sigur Rós se lance dans une entreprise intéressante : composer son troisième album sur base de paroles dans une langue fictive, “l’Hopelandic”, créée pour l’occasion à partir d’une association répétitive de sons originaux dépourvus de sens et déclinés sous plusieurs formes tout au long des différentes tracks non-titrées, 8 au total. L’oeuvre est découpée en deux parties, une première relativement optimiste et une seconde plutôt mélancholique, artificiellement séparées à l’aide d’un silence de 36 secondes. Ajoutons encore que l’album s’ouvre et se clos sur un clic de distortion, formant une sorte de boucle qui peut se poursuivre indéfiniment. Il en résulte une expérience troublante, une chute dans un univers mouvementé de sons mystiques et rafinés aux variations de rythme absolument incroyables. Difficile de définir une émotion particulière, on se trouve face à une suite de tendances mélodiques qui laissent des impressions intenses, on est piégé dans un état second au milieu de ces harmonies merveilleuses. Il y a des étoiles, un je ne sais quoi d’épique dans cet alliage improbable de thèmes langoureux aux saveurs argentées qui fait le gros dos. Comme il n’y a pas de paroles auxquelles se racrocher, l’auditeur est véritablement inondé de vapeurs musicales, de fantômes pendant plus d’une heure. C’est un flux perpétuel

ESO’s VLT reveals the Carina Nebula's hidden secretsd’hallucinations, un fauve enragé dont il se dégage pourtant une profondeur spirituelle inqualifiable. Une façon d’éclairer avec plus de subtilité cet ovni, consiste à prendre en compte l’absence d’un titre pour l’album, remplacé par un signe de ponctuation parfaitement laconique. Dans une interview, Jónsi, le lead singer, précise : “la parenthèse est vide pour que les gens puissent y écrire ou y dessiner leur propre interprétation. C’est une sorte d’expérience humaine, chacun a son opinion, c’est comme un album inachevé que le public termine lui-même; ce n’est pas un chanteur qui raconte une histoire mais plutôt un soundtrack qui s’adapte à la vie de chacun”. Ainsi vous dicter, vous soumettre ma vision des choses est en réalité superflu. ( ) de Sigur Rós doit se lire comme une fenêtre ouverte sur votre subconscient. En écoutant cet album, vous entendrez l’écho de ce que vos sentiments y mettent, comme un miroir étrange qui reflète tous les états d’âmes possibles et imaginables. Plus que des créateurs conceptuels, les membres du groupe sont avant tout des explorateurs, des enfants surdoués qui veulent toujours trouver de nouvelles manières pour nous en mettre plein la vue, de vrais artistes donc. Alors, un ascenseur émotionnel, un déferlement magique, une cacophonie magistrale, appelez ça comme vous voulez; mon seul conseil, ma seule envie, c’est que vous écoutiez ce bijou improbable d’une seule traite, dans une solitude absolue. Si, par hasard, vous le faites et que ça vous touche, vous interpelle, si votre pudeur vous le permet, n’hésitez pas à partager votre ressenti avec nous, pour, ensembles, compléter l’oeuvre de Sigur Rós, remplir avec toujours plus de détails l’intimité évolutive de cette libre parenthèse. A la prochaine !
*Le nom du groupe fait référence au prénom de la soeur de Jónsi, qui, lui, est orthographié sans espace.