Mort du dernier fou du rock
04 Fév 2015

Mort du dernier fou du rock

Le légendaire producteur de rock’n’roll Kim Fowley

04 Fév 2015

Le légendaire producteur de rock’n’roll Kim Fowley aura marqué son époque par son excentricité et sa mégalomanie

De tous gens importants dans l’histoire du rock’n’roll, je suis l’un des derniers à être encore en vie. (…) Je suis grandiose parce que j’ai commencé ma carrière dans les années 50, que je l’ai continuée dans les années 60, 70, 80 et 90. (…) J’accepte tout parce qu’il se pourrait que je sois doué, et sans un aucun doute possible un Dieu vivant

Il fut l’un des personnages les plus déjantés de l’histoire du rock. Autoproclamé « le roi de l’outrage », il a façonné sa propre légende en racontant des histoires absolument invérifiables et improbables (dont la palme revient probablement à une session de zoophilie avec un chat obèse). Kim Fowley est mort le jeudi 15 janvier, à l’âge de 75 ans, des suites d’un cancer de la vessie dans le quartier de West Hollywood, à Los Angeles. Ce Frankenstein du rock’n’roll, au visage souvent maquillé de la plus extravagante des façons, a passé sa vie à dévoiler le côté le plus obscur et sale du genre. Producteur, manager, publiciste, auteur-compositeur, interprète, ce génie déjanté a marqué de son empreinte la musique underground des années 60 et 70. La liste de ses collaborations est innombrable : The Runaways, PJ Proby, Them, Gene Vincent, The Mothers of invention, Paul Reverve and the Raiders, Cat Stevens, Soft Machine, The Byrds, Alice Cooper, Kiss… Il était présent lors des sessions d’enregistrement d’une bonne partie des productions garage, proto-punk, glam rock, psyché ou surf de l’époque.

Kim Fowley est né le 21 juillet 1939 à Los Angeles, en Californie. Il est le fils de l’acteur Douglas Fowley (le réalisateur malmené dans Chantons sous la pluie) et de l’actrice Shelby Payne. En 1959, il devient manager et publiciste pour un groupe local éphémère, les Sleepwalkers, qui inclut Bruce Johnston, futur bassiste des Beach Boys, et occasionnellement Phil Spector. Habité par le rock’n’roll, il entre tôt dans le milieu en travaillant pour Alan Freed (l’homme qui a inventé le terme « rock’n’roll » depuis sa station WJW) et Berry Gordy, fondateur de Tamla Records, future Tamla Motown. Il signe rapidement son premier single en tant que producteur avec les Renegades (Charge). Malheureusement, la surf n’ayant pas toujours pas éclos, il ne réalisera son premier succès qu’en 1960 avec Alley hop des Hollywood Argyles.


Parcourant jour et nuit les ruelles les plus crasseuses de Los Angeles à la recherche de nouveaux talents, il multiplie les expériences durant les années 60 et produit de nombreux 45 tours pour de nombreux groupes de la culture underground : Like Long hair de Paul Reverve and the Raiders (en 1961, un rhythm’n’blues dans le style Jerry Lee Lewis complètement endiablé), B.Bumble and the Stringers (Nut rocker, une reprise excellente du Casse Noisettes de Tchaïkovski), ou encore The Rivingtons (Papa Oom Mow Mow). Lors d’un séjour à Londres en 1964, il devient l’attaché de presse de PJ Proby, produit une chanson pour Soft Machine dans sa toute première période psyché (Feelin reelin squeelin), et rencontre par ailleurs le jeune Cat Stevens, pour qui il écrira Portobello road. De retour à Los Angeles, il se lance dans une carrière solo avec the Trip en 1965, un délire sous acide qui lui vaut son premier succès à compte d’auteur. Mis en confiance par le succès de son single, il sort son premier album en 1967, Love is alive and well, qui anticipe le mouvement hippie de quelques mois. De nombreux autres suivront , dont les plus notables sont  Born to be wild (qui sera la base du fameux tube de Steppenwolf) et Outrageous en 1968, The Day the earth stood still en 1970, I’m Bad en 1972 et Animal god of the streets en 1975.


Le plus grand succès de Kim Fowley, Outrageous, mérite une mention particulière. Il écrit sur la pochette de l’album : « Le pouvoir, la violence, le bruit, les chiffres, l’animalité, la vulgarité et la pure folie sont les solutions des problèmes d’aujourd’hui ». Voilà ce qu’est l’album, une pure folie chamanique proclamant la violence, l’organique, le sexe et la drogue, fait de cris, de rots et de mugissements presque inhumains. L’album s’ouvre sur Animal man, dans laquelle, couvert par des riffs garage de guitare, Fowley balance : « Je suis moche… Hahaha… Sale, dégueulasse, sournois, affreux… uughhh ! Je vais te tuer… T’es hétéro ? Ouais, moi je suis l’homme animal ! ».

Suite à ce mélange vicieux de sexe et violence, Fowley continue avec Wildfire, sûrement la chanson la plus folle qui puisse exister. Elle oscille constamment dans un fragile (très fragile) équilibre entre rationalité et parfait non-sens. Kim Fowley, dans une sorte de transe épileptique, ne prend même pas le temps de finir ses phrases. Il répète sans cesse la même question, « comment tu le sais? », lance dans une série de questions-réponses avec « l’inspecteur du feu » (dans le texte), avant de demander à une lugubre audience « qu’est-ce qui te dérange à propos de tout ? », qui déclare en retour : « la réalité ! ». Voilà ce qui pourrait bien résumer l’esprit et l’héritage de Kim Fowley. Une pure proclamation de la folie et du malsain, dans un ton incitant la jeunesse qui l’écoute à venir l’imiter. « L’Amérique est-elle morte ? », demande-t-il dans l’album The Day the earth stood still en 1970. L’homme était convaincu que ce qui attire les jeunes est l’interdit à braver, et c’est précisément ce qu’il leur propose dans ses albums, bien que souvent la barrière entre l’interdit et le purement amoral soit aisément franchie avec un grand sourire figé et un joint dans la main.


Les années 70 voient arriver son succès le plus connu. A part sa collaboration avec Flash Cadillac & the Continental kids pour le film American graffiti en 1973 (At the Hop, Louie Louie, She’s so fine), ainsi que d’autres participations à des chansons de Kiss, Alice Cooper ou les Modern Lovers, le fait le plus notable de la décennie est sans aucun doute la création des Runaways. En 1975, Kim Fowley rencontre la jeune Joan Jett, qui l’informe de sa volonté de créer un groupe composé uniquement de filles. Sautant sur l’occasion, il la présente à la batteuse Sandy West (quinze ans à l’époque). Les deux adolescentes se mettent instantanément à jouer, les amplis à fond, dans le garage de la dernière. Elles seront vite rejointes par Lita Ford à la guitare solo, Cherrie Currie au chant et Jackie Fox à la basse. Cinq filles ayant à peine atteint la majorité sexuelle, et jouant du hard rock sans concession : c’était un succès assuré pour leur producteur et, malgré leur manque de succès commercial aux États-Unis, elles seront rapidement idolâtrées au Japon. Avec, comble du trash, Cherrie Currie se baladant sur la scène simplement vêtue d’un bustier et d’un porte-jarretelles en hurlant leur plus grand succès Cherry Bomb. Malheureusement, la chanteuse quitte le groupe en 1977, épuisée par les excès de drogue, et ce dernier se dissoudra deux après suite à des litiges quant à leur évolution musicale.


A la fin de sa vie, il s’occupait principalement de réaliser des documentaires et des films expérimentaux, tous plus bizarres les uns que les autres. Des films comme Black doom room (qui constitue sa réponse au film sur les Runaways), Dollboy: The Movie, Satan of Silverlake, The Golden Road to Nowhere, Frankenstein Goes Surfing, Trailer Park’s On Fire et Jukebox California. Il fait par ailleurs une apparition dans the Mayor of Sunset Strip sur la vie du Disc-Jockey Rodney Bingenheimer réalisé en 2003. Il a bien produit et écrit pour plusieurs groupes dans les années 80 et 90, mais ils sont pour la plupart restés inconnus du grand public. Certains sont cependant devenus cultes, comme le groupe de power pop Beathoven, renommés the Innocents après leur rencontre avec Fowley (Here we come !), ou encore Candy et Steel Breeze (You don’t want me anymore).

Kim Fowley fut un agitateur, un provocateur né franchissant aisément les barrières de l’amoralité. Il avait un regard aiguisé sur la société, sur le monde de la musique et du rock, ainsi qu’une oreille affinée lui permettant de déclencher hit sur hit à partir de rien. Très conscient de l’importante de l’interdit pour la jeunesse, il s’était construit, de façon tout à fait consciente,  une image mégalomane faite de vulgarité, de trash et de perversion. Il aura contribué au succès (ou pas) d’un nombre incalculable de groupes de la scène 60’s, 70’s et 80’s, annonçant les Stooges et le proto punk. Son cancer de la vessie, qui lui pourrissait la vie depuis quelque temps, aura fini par l’emporter, lui qui était déjà revenu, d’après lui, d’un « cancer de la prostate et de la peau, de neuf pneumonies et de deux crises de polio ». « La mort est mon projet à long terme, commentait-t-il. J’irai alors bosser dans le restaurant de plage tenu par Satan. Je l’aiderai à organiser des concerts avec John Lennon, Jim Morrison et John Lee Hooker. […] Tous les musiciens terminent en enfer, seuls The Osmonds Brothers et Karen Carpenter s’emmerdent au paradis ». Nul doute qu’en bas la température a dû monter d’un cran depuis son arrivée.

Gabriel del Castillo

Voici une liste subjective et non exhaustive de quelques-unes des innombrables collaborations et créations de Kim Fowley :

Discographie

Singles :

– 1965 : The Trip
– 1966 : Underground lady
– 1967 : Music is the magic

Albums :

–  1967 : Love is alive and well
– 1968 : Born to be wild, Outrageous
– 1970 : The day the earth stood still
– 1972 : Im bad
– 1975 : Animal god of the streets

Collaborations
Singles :

– 1959 : The Renegades (Charge, Geronimo)
– 1960 : The Hollywood Argyles  (Alley Oop), The Pharaohs (Heads Up, High Hopes Over You)
– 1961 : Paul Revere & The Raiders (Like, Long Hair)
– 1962 : The Rivingtons  (Papa-Oom-Mow-Mow), B. Bumble and the Stingers  (Nut Rocker)
– 1966 : Cat Stevens (Portobello Road)
– 1967 : Soft Machine (Love Makes Sweet Music)
– 1968 : The Seeds (Falling Off the Edge of My Mind, Wild Blood)
– 1972 : Flash Cadillac & the Continental Kids (At the Hop, Louie Louie, She’s So Fine) pour le film American Graffiti
– 1975 : Blue Cheer (America Nights, Fighting Star)
– 1976 : Kiss (King of the Night Time World)
Albums :

–  1966 : The Mothers of Invention (Freak Out!)
– 1968 : Johnny Winter (The Progressive Blues Experiment)
– 1969 : Gene Vincent (I’m Back and I’m Proud),  Warren Zevon (Wanted Dead or Alive)
– 1970 : The Byrds (Untitled)
– 1971 : The Byrds (Byrdmaniax), The Byrds (Farther Along)
– 1975 : Alice Cooper (Welcome to my nightmare)
– 1976 : The Runaways (The Runaways), Kiss (Destroyer), The Modern Lovers (The Modern Lovers)
– 1977 : The Runaways (Queens of Noise), The Runaways (Waitin’ for the Night), Kiss (Alive II)
– 1980 : The Orchids (The Orchids)

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