tchaikovsky

Viewing posts tagged tchaikovsky

Gan Gah, une oasis dans le désert

Issu d’une génération Y de la région du Souss, Gan Gah est probablement l’un des pionniers du courant musical Moroccan Bass, une musique quasiment inexplorée qui voyage entre rythmes maghrébins et musique électronique moderne. Perdu dans le désert dominical de nos tendres ruelles bruxelloises, on a trouvé refuge dans une oasis luxuriante qui n’échappera pas à votre curiosité. Suite à l’annonce de la sortie de son premier Souktronics EP le 28 novembre sur Low Up Records, on a décidé d’envoyer un typhon de lumière sur l’incroyable panel de productions que notre personnage garde en secret dans son studio.

BC: Avant on te connaissait sous le nom de Five’O, explique-nous cette transition vers Gan Gah ?

Gan Gah: Five’O, c’était pour les productions hip-hop. Les gens pensaient que c’était une dénomination que j’utilisais pour dire “flic” mais en fait c’est une référence à un trick de skateboard. Gan Gah, ce n’est pas un changement, c’est un nouveau projet qui n’a plus rien à voir avec le hip-hop. Gan Gah ça reflète mes origines, ça veut dire tambour de gnawa en berbère.

BC: Comment as-tu commencé à faire de la musique ?

Gan Gah: J’ai commencé à faire de la musique dans les rues d’Agadir (région de Souss) avec les carnavals de Gnawa. On construisait des tambours avec du plastique épais mais maniable, quasiment comme celui sur les caisses claires. Aussi, on prenait des grosses boîtes cylindriques du lait de la marque Nido ou sinon des grosses boîtes en aluminium de peinture. Après, on fixait le tout avec des cordes et notre “ganga” homemade était prêt. Du coup, on jouait comme ça dans la rue (il imite des percussions avec sa bouche) avec des chants qu’on connaissait depuis l’enfance, à force d’écouter ça on les a retenus naturellement. Des fois quand on avait pas les moyens, on traînait dans la rue et on reproduisait nos rythmes sur les capots des voitures. On s’amusait comme ça pendant l’enfance. J’avais jamais pris de cours, j’apprenais tout en autodidacte. Puis un jour, mon pote m’a demandé si j’étais chaud d’essayer le logiciel Ableton. Je l’ai installé et puis je me suis amusé un peu à la maison avec mes potes du quartier. J’ai créé énormément de trucs là-bas, mais en même temps je sentais que j’avais besoin de matos plus solide.

Ensuite, j’ai du arrêter la musique pour me consacrer à mes études. Par après, je traînais avec mon ordinateur au Floréo, c’était comme mon QG, c’est ma famille maintenant, c’est comme des vrais frères. Une fois, ils m’ont invité à mixer là-bas, c’était cool. J’ai continué à faire de la musique, j’ai passé un morceau à Crapulax, puis un autre et puis encore un autre. Après on a commencé à sélectionner les morceaux jusqu’à trouver le bon équilibre. Je suis rentré dans le crew Bunker (Crapulax, Lanceflow, Carlsberg Slim et DJ Proceed) en tant que beatmaker. Mais je voulais faire plus que du hip-hop, j’ai essayé la trap mais finalement j’ai jamais été fan de l’esprit commercial dans lequel cette merde est conçue. Mais je comprends quand même la galère de certains musiciens qui finissent par accepter des contrats bidons avec certaines maisons de disques.

BC: D’ailleurs, c’est quoi ton avis sur l’actuelle commercialisation de la musique ?

Gan Gah: Avec la découverte de Low Up et Pelican Fly, mes idées ont beaucoup changé. J’aime bien leur musique, c’est très underground. J’aime beaucoup leur manière de penser. Le label Low Up a une philosophie à laquelle il se tient complètement. L’important c’est pas la thune, c’est la musique. La thune elle vient après. C’est facile de se faire de la thune. Tu peux travailler et avoir blindé de thunes, c’est ce que je me suis dit.

 

IMG_3187

Photo: Julien Vanden Bussche

BC: Comment la connexion s’est faite avec Low Up Records?

Gan Gah: La première fois que j’ai vu le nom Low Up c’était sur un sticker que j’ai vu à Saint-Gilles. Puis j’ai fait la connaissance de Max Le Daron. En fait, on s’est connus via un pote, Marvy Le Pimp. Et après on a gardé contact Max et moi. Je l’ai invité une fois à une soirée au Zebra Bar pour mixer. Par après, il est venu me proposer un projet pour Joey Le Soldat. C’est un rappeur qui a participé à la révolution au Burkina Faso. C’est un bon gars, il a un bon fond même si je ne l’ai jamais vu je fais entièrement confiance à Max. En fait, on bosse sur un projet qui va s’appeler JoMaGa; Joey, Max et Gan Gah. Du coup, le projet consiste en un trio avec lequel on s’imagine jouer en live pour des festivals. Ça devrait sortir en 2016, c’est déjà enregistré mais on doit encore se pencher sur l’arrangement et tout ça. C’est un projet avec le label de Benjamin Lebrave, Akwaaba Music, tout a été enregistré là-bas. A part ça,  j’ai pu faire la connaissance de DJ Mellow lors d’une soirée Low Up où il m’a motivé à produire encore plus de musique. Depuis cette rencontre, je n’ai pas arrêté de composer. J’ai déjà 30 à 40 tracks de prêtes pour les sortir sur Low Up.

BC: Parle-nous un peu de ton premier Souktronics EP que tu sors sur Low Up Records le 28 novembre ?

Gan Gah: L’idée de l’EP, c’est surtout de montrer aux gens ce que je fais comme musique. Ça fait longtemps que je travaille là-dessus et c’est aussi un engagement envers Low Up. C’est un EP qui se colle à la philosophie de LowUp mais avec une nouvelle “touch” propre à ma personne. C’est aussi pour prouver qu’il y a de la musique électronique arabe qui peut percer.

a3551438563_10

Tim Colmant

Sur le morceau Eywa, je me suis inspiré de la jersey. J’ai vu qu’au niveau BPM ça collait très bien avec la musique égyptienne et marocaine. Alors je me suis dis, “Ah mais pourquoi je ne mélangerais pas les deux?”. J’ai tenté de jouer le violon, sampler quelques trucs tout en les mélangeant avec des voix arabes. J’aime beaucoup créer ce qui est différent, c’est un défi pour moi. Pour le moment c’est la musique très groove qui me plait, les sons qui font danser tu vois ?

Kasbah, c’est l’époque où j’écoutais Tchaikovsky. Je respecte tellement ce type là. Ce genre de compositeur planqué au fin fond du monde en Russie en train de composer cette musique par écrit.

The Snake Dance, c’est un mélange de kuduro avec du UK. A un moment dans le morceau, j’ai cassé la rythmique avec un peu de trap on va dire. Je me suis dit pourquoi pas, ça pourrait vraiment bien donner. Comme quoi, j’aime quand même bien la trap même si j’ai jamais réussi à produire une track dont je serais fier. Mais en tout cas, le passage sur ce morceau passe bien. C’est le morceau club par excellence de l’EP.

Au niveau des arrangements j’ai travaillé avec DJ Mellow et Max Le Daron qui m’ont beaucoup aidé. Et pour le mastering, c’est l’anglais Almost qui a déjà fait du très bon taf pour les autres sorties de Low Up.

BC: Concernant les nouvelles technologies de mixage et de mastering comme Landr, est-ce que tu te verrais utiliser ce genre d’outil à l’avenir ?

Gan Gah: Non jamais, il faut toujours avoir une touche humaine selon moi. Un être humain est irremplaçable avec une machine quand il s’agit d’enregistrer ce type de musique. Tu peux programmer avec tout ce que tu veux mais il faut avoir l’erreur d’une milliseconde. Parce que le kick que je vais jouer sur cette séquence, je ne vais pas le jouer de la même manière sur l’autre séquence tu vois?

BC: Mis à part la musique, tu fais quoi pour pouvoir vivre tous les jours?

Gan Gah: Pour l’instant je ne travaille plus, j’ai beaucoup travaillé dans l’horeca. À un moment, il faut arrêter parce que c’est un monde à deux balles, trop d’alcool et tout. Mais je veux continuer des études après. Pour l’instant je mixe par-ci par-là et je vends mes morceaux.

 C’est grâce à ma femme en fait. J’étais très dispersé, je ne faisais que mixer, je ne composais pas et j’étais dans la déglingue. Depuis que je suis avec elle, je trace mon avenir.

BC: Est-ce que tu te vois entièrement vivre de la musique ?

Gan Gah: Je me projette, c’est pas difficile. Mais à un moment donné, il faut quand même travailler. J’ai pas envie de me retrouver comme DJ dans 30 ans, je vais apprendre le clavier et je vais me retrouver avec un jazz band puis surement apprendre le saxophone (dit-il en touchant le saxophone dans son studio).

BC: Est-ce que c’est facile de vivre de la musique en Belgique selon toi ?

Gan Gah: Non c’est pas facile. Regarde, tu t’achètes du matos de malade mental et t’as des bêtes rappeurs qui ne respectent pas le travail du beatmaker. Une fois, je me suis salement embrouillé avec un de ceux-là. Il m’a dit: “Passe moi 3 morceaux s’il te plait”. Ce gars a cru que j’avais besoin de faire de la promo pour ma musique, comme si j’étais une machine. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté de travailler avec n’importe qui et que je taffe qu’avec Bunker maintenant.

BC: Qu’est-ce que tu penses de cette nouvelle tendance de la bass music à se diriger vers des samples plus ethniques ?

Gan Gah: En fait Dengue Dengue Dengue par exemple, c’est des gens qui utilisent leur musique locale. Je vais pas être méchant avec Clap! Clap!, c’est bien ce qu’il fait, y a certains morceaux qui tuent mais y a beaucoup de samples qu’il ne transforme pas, il ne compose pas totalement au final, c’est très brut. Idéalement, il faudrait que les musiciens européens essayent de comprendre les rythmes des locaux. La facilité avec Ableton c’est que tu peux quantizer et tout mais ça ne marche pas comme ça, il faut vivre un peu avec le truc, là tu vas apprendre beaucoup de choses. Moi, je viens de là-bas alors je repère les erreurs plus facilement. Je ne vais pas dire que je suis parfait, moi aussi je fais des erreurs dans certaines compositions. Sauf qu’il y a ce manque de compréhension du rythme, il faut essayer de le jouer, il ne suffit pas d’avoir un ordi et d’avoir un logiciel. Il faut vraiment comprendre le truc, c’est ça l’erreur qui est répandue actuellement.

 

Photo: Julien Van Den Bussche

Photo: Julien Vanden Bussche

BC: Et toi, comment procèdes-tu dans tes compositions musicales ?

Gan Gah: Moi j’essaye de tout composer. C’est comme un compositeur blédard tu vois, il va prendre un clavier, il va chercher un rythme, il va tout faire de A à Z. Comme sur ce morceau là en fait (démonstration d’un rythme de moroccan bass). Je prends des loops de drumlines sur des forums, ça me facilite la tâche et puis après je les décompose et les rejoue à ma propre sauce. À l’avenir, j’aimerais retourner au Maroc et travailler avec des artistes de là-bas. J’ai envie de faire de la musique qui pourrait trouver un compromis entre les marocains et les européens.

BC: Qu’est-ce qui t’as motivé à produire de la musique ?

Gan Gah: C’est grâce à ma femme en fait. J’étais très dispersé, je ne faisais que mixer, je ne composais pas et j’étais dans la déglingue. Depuis que je suis avec elle, je trace mon avenir. Avant d’arriver à faire de la bass music, il m’a fallu 1 an de réflexion. Je produisais des trucs, genre des remixes future bass de Michael Jackson un peu trappy comme ça. J’ai jamais rien sorti de ça en fait, je ne sais pas pourquoi mais je ne le sentais pas trop je pense. C’est avec ma femme qu’on teste ma musique. Quand je finis un morceau, on danse ici dans le studio pour valider le son.

BC: Qu’est-ce que tu penses de la nouvelle ère du téléchargement et du streaming musical?

Gan Gah: Dernièrement, Red Bull Elektropedia a balancé une de mes tracks en exclusivité. Au final, ils ont eu un problème de copyright avec Itunes. C’est vraiment une connerie à deux balles, leur mère avec SoundCloud et toutes ces conneries. Pour moi, la musique doit être créée pour tout le monde. Le prix que tu vas payer pour un morceau, ça ne va pas enrichir les artistes. C’est jouer dans des clubs qui va t’enrichir, c’est faire des tournées. Les gens ont besoin d’écouter de la musique, on créé pour partager. Les rappeurs des années 90 en avaient rien à foutre que leurs albums se vendent ou pas, ils voulaient juste partager leur art. La musique que je fais là, c’est comme ce qu’il s’est passé avec la transition de la funk au hip-hop. Moi je crée de la moroccan bass, à travers la musique populaire qu’on joue dans les mariages marocains. A chaque mariage, t’as plein de marakchia, des gars qui font des percussions, mais aussi de la nira, une sorte de cuivre.

Avant tout, je m’inspire de moi-même, je regarde ce qu’ont fait mes ancêtres, je ne vais pas très loin.

BC: Quelle est la scène musicale que tu suis le plus en ce moment ?

Gan Gah: Ce que j’écoute beaucoup en ce moment c’est la Durban House d’Afrique du Sud. Le crew Ghetto Boyz avec DJ Mujava et tout. Sinon hier, j’ai fait une track que je kiffe trop (intermède où on écoute sa track). Tu vois ça, c’est encore autre chose, ça vient du Portugal. Là-bas ils ont aussi développé un côté underground grâce à des gars comme DJ Nigga Fox ou encore DJ Firmeza. Je les connais pas bien, mais j’aime bien leur musique. En fait, j’ai remarqué que cette musique se rapproche beaucoup des percussions qu’on joue au Maroc. Chez les marocains, il y a beaucoup d’instruments, dans le reste de l’Afrique, les instruments sont construits d’une manière différente. Mais au niveau du groove, le swing reste très similaire.

BC: Qui t’a fortement marqué en Belgique pour le moment ?

Gan Gah: Avant tout, je m’inspire de moi-même, je regarde ce qu’ont fait mes ancêtres, je ne vais pas très loin. J’écoute tu vois. J’ai écouté Richelle, le dernier mix que Pelican Fly a publié. Mais aussi DJ Mellow parce qu’il a un groove de fou. Avec très peu d’éléments, il parvient à composer un morceau bien complet. C’est rare de rencontrer un gars pareil, il est très intelligent. Toute la clique de Low Up aussi, Max je kiffe bien ses mélodies, il a un côté très original. Dave Luxe aussi j’aime bien, il a un bon succès. Il fallait qu’il voyage, qu’il change de pays. Pendant la soirée de son départ, j’avais mixé avec lui au Floréo et il m’avait dit “Putain, maintenant que je sens que je suis entouré de bons potes, je vais bouger au Canada”. Et je lui ai dit : “Mec vas-y, change de pays, tu vas voir tu vas te mettre bien, tout va bien. Moi si j’ai quitté le Maroc c’était pour changer tout, recommencer un nouveau truc”.

BC: Où-est ce que tu aimerais vivre prochainement ?

Gan Gah: Maintenant je pense à m’expatrier soit au Maroc soit en Norvège. Mon meilleur pote Moe Chakiri est photographe dans le crew norvégien Mutual Intentions. On se connaissait du bled, c’est un marocain qui est né en Norvège. Selon moi, ils ont plus de respect pour la scène musicale, ils valorisent tout ce qui est artistique, ils donnent de l’importance à tout ce qui peut se faire de bon.

BC: Il est certain que les pays scandinaves ont une mesure d’avance sur nous. Parlons un peu de ton expérience en tant que Marocain en Belgique. Comment ça s’est passé? Quelles difficultés as-tu rencontré?

Gan Gah: Moi je trouve ça très facile mec! Le seul problème que l’on rencontre au début, c’est l’intégration sociale. Bruxelles c’est comme une pyramide, il suffit de connaître une seule personne pour pouvoir en rencontrer plein d’autres. Tu sais, en économie politique et sociale on a développé ce concept d’individualisme, on a créé une indépendance à tout le monde. T’as pas de boulot, t’as quand même le chômage et une maison. Moi je suis contre cette idée de ne pas travailler. Mais je comprends quand même certaines personnes qui veulent profiter de l’Etat. Car quand tu travailles on te taxe blindé et quand tu ne travailles pas on te taxe moins (rires). Il ne faut surtout pas être timide. Moi je ne suis pas comme ça, je suis né dans un endroit populaire. Même si je ne connais pas la personne avec qui je parle, je suis toujours prêt à aider mon prochain. Si il a besoin de manger ou de boire, je vais lui donner à manger et à boire si il toque à ma porte. Au Maroc, je laisse ma porte ouverte et je peux être sûr que personne ne va rentrer chez moi. Je suis né dans cette dynamique, du coup je peux dormir chez les voisins et les voisins peuvent dormir chez moi, tranquille quoi.

Le principal obstacle à l’intégration c’est la connaissance de l’autre. À force de fréquenter de nouvelles personnes, tu commences à améliorer ton vocabulaire et tu t’exprimes mieux en français. Il faut toujours faire en sorte que tout se passe bien, qu’il n y ait que de la bonne énergie. Il ne faut jamais parler de tes problèmes aux gens parce que ceux-ci s’intéressent qu’aux bonnes nouvelles. Sauf tes vrais potes, tu peux leur en parler et ils vont t’aider à les résoudre. Mais si tu commences à raconter ça à quelqu’un que tu viens de rencontrer, ça sert à rien, ils ont déjà leurs problèmes à régler. C’est comme moi, j’ai aussi envie de faire assistant social, j’ai déjà des problèmes à résoudre mais je vais quand même me prendre la tête à résoudre les problèmes d’autres personnes (rires).

 

La release party pour le Souktronics EP se passera le samedi 28 novembre au Beursschouwburg. Venez faire la fête avec nous, ça risque d’être mémorable ! On vous a d’ailleurs réservé une petite surprise à ce sujet.

 

Qu’est-ce que la musique classique ?

A peine commencé, déjà une méprise. Cet essai d’essai, ce fœtus d’essai, repose sur une base titulaire peu solide. Est-ce la bonne question ? J’aurais pu, après tout, commencer par quasi n’importe quelle formule interrogative classique. Peut-être, justement, ais-je choisi la plus vague et intraitable des possibilités afin de les y confondre toutes en un seul morceau indigeste et convenu, sorte d’exposé rappelant les Marabout Flash ou encore les guides culturels vulgarisés qui acheminent la culture moyenne et les clichés d’un touriste à un autre, perdant l’essence des choses et des peuples. Mais je m’égare dans mon auto-flagellation littéraire et je vous ennuie (sans doute ni la première ni la dernière fois et je m’en excuse). Ce que j’essaye simplement de dire, avec cette introduction, c’est combien ma démarche n’est en aucun cas vouée à une réussite ni même ne se dirige-t-elle vers une conclusion satisfaisante. Je n’y aspire pas le moins du monde. Je tiens uniquement à partager quelques informations clarifiant l’amour (forcément irrationnel) que je porte à ce medium artistique à la fois pour m’exorciser de cette passion via l’écriture mais aussi dans l’espoir d’éclaircir les nombreuses idées reçues dont il souffre (comme n’importe quel autre sujet). Ce faisant, je m’appliquerai à traduire mes idées, mes avis, avec des faits et de vous interpréter les faits avec mes visions sans recherche d’absolu ; je veux juste, respectivement, analyser les antagonismes subjectifs de mes goûts et personnaliser, tant bien que mal, les éléments théoriques auxquels ils sont associés. Et si, par-là, j’emprunte le même chemin que ces catalogues évoqués plus hauts, ce sera malgré moi, je vous assure. Des raccourcis seront inévitables, des approximations sont possibles, des simplifications frustrantes, mais c’est pour mieux correspondre au type de consommation d’information contemporain (et c’est une phrase bien laide) qui exige concision et aspect pratique. Soyez donc prévenus, amis lecteurs, et si cette méthode ne vous convient pas ne vous aventurez pas plus avant ; si, en revanche, vous êtes curieux, vous retirerez quelque chose, d’une manière ou d’une autre, à travers ces lignes maladroites qui s’emploieront à vous contaminer les sens d’images, d’anecdotes, de connaissances et, ultimement, de sons merveilleux ; je vous le promets.

La musique en elle-même est une pratique culturelle remontant, selon une majorité de sources basées sur différentes découvertes archéologiques, aux alentours du paléolithique (il y a 200 000 ans), autrement dit aux origines de la race humaine (homo sapiens). Comme toute forme artistique, il s’agit d’une branche sociétale ayant connu des parcours innombrables au fil des siècles, sans parler des conceptions propres aux différents types de communautés qui se succédèrent et coexistent encore aujourd’hui sur notre planète. Ces menus détails rendent une définition globalisante du phénomène à la fois impossible et superflue. Il en va de même pour la catégorie plus spécifique appelée « musique classique ». Je crois, d’ailleurs, que personne, au fond, ne sait vraiment ce qu’il se cache derrière ce terme incroyablement ambigu et ce à plus d’un titre. Curieusement, une définition du mot n’existe pas vraiment dans les dictionnaires, on vous renvoie toujours à la musique de style classique dont nous reparlerons mais pas au concept général. Je me suis tourné vers la sagesse d’internet et son grand bibliothécaire : Google. Voilà ce que j’ai trouvé comme différentes interprétations de cet objet d’étude :

La version enfantine sur vikidia : « La musique classique est la musique occidentale savante (par opposition à la musique populaire), depuis la Renaissance jusqu’à nos jours. ».

La version philo-bourgeoise sur musicmot.com : « En musique, le classique ne peut exprimer que ceci : une nouvelle perfection, l’accès à une légitimité harmonique que l’art grec antique possédait en des temps meilleurs. Le classique ne décrit pas tant une époque particulière se rattachant à un style, qu’une élévation spirituelle que peu de maîtres ont atteint de tous temps. ».

La version, osons-le, classique, ou basique sur wikipédia (fr) : « La musique classique désigne habituellement l’ensemble de la musique occidentale savante d’origine liturgique et séculière, par opposition à la musique populaire, depuis la musique médiévale à nos jours. L’adjectif classique ne se réfère stricto sensu qu’à la musique de la période classique écrite entre le milieu du XVIIIe siècle et l’avènement de la musique romantique dans les années 1820. ».

La version shakespearienne complète multi-céréales (au muesli) sur wikipedia (en) :  «  Classical music is art music produced or rooted in the traditions of Western music (both liturgical and secular). It encompasses a broad period from roughly the 11th century to the present day. The central norms of this tradition became codified between 1550 and 1900, which is known as the common practice period. The major time divisions of classical music are the early music period, which includes Medieval (500–1400) and Renaissance (1400–1600), the Common practice period, which includes the Baroque (1600–1750), Classical (1750–1830) and Romantic (1804–1949) periods, and the modern and contemporary period, which includes 20th century (1900–2000) and contemporary (1975–current). ».

Chacune a ses défauts, des lacunes dans le vocabulaire utilisé sans véritablement cerner le problème. En distillant ces erreurs et en apportant des précisions à d’autres concepts soulignés, on peut, tant bien que mal, trouver une nouvelle manière de décrire la musique classique selon un axe différent nourri par des contre-affirmations. Après tout, définir une chose en lui soustrayant ce qu’elle n’est pas s’avère souvent plus efficace pour élaborer ce qu’elle est par élimination.

Le plus énorme malentendu véhiculé par une majorité des identifications susmentionnées consiste à opposer musique classique et musique populaire sans explication supplémentaire et avec un préjudice négatif à l’encontre de la seconde. D’abord, ce qui est décrit comme la musique populaire, au sens le plus littéral du terme (issue du peuple) désigne, en réalité, la musique traditionnelle, un amalgame qui fait passer la discipline dite classique comme réservée à une élite (elle le fut un temps mais c’est restreindre son potentiel que d’en faire une règle générale). Ensuite, cette précision effectuée, il est contre nature d’opposer le genre populaire à la musique classique puisque celle-ci s’en nourrit constamment et en est, a priori, dépendante si l’on considère les origines préhistoriques du phénomène (voir au-dessus). Plus que des branches opposées d’un medium commun, ce sont plutôt, en premier lieu, des stades différents de l’évolution de la pratique musicale et, en second lieux, deux manières différentes de construire ou d’envisager l’art qui sont liées par des allers-retours perpétuels. La deuxième étrangeté qui apparaît en regroupant les définitions c’est la notion spatio/temporelle. D’abord une confusion règne sur les origines concrètes de la musique classique : Renaissance ? Moyen-Âge ? Ensuite l’emploi du terme occidental peut induire en erreur de nos jours pour différentes raisons : d’abord, le terme dans son acception actuelle comprend les USA comme centre idéologique, or ceux-ci n’ont été touchés par le phénomène que très tard dans leur développement, il faudrait dire européen d’un point de vue historique (ce qui est l’angle choisi dans les exemples cités), ensuite, aujourd’hui, dans un monde aussi global que le nôtre, aussi connecté, la musique classique et sa tradition n’appartiennent à aucune zone précise autrement qu’au passé.

Que retenir alors de ces différentes vues sur le problème ? D’abord qu’il s’agit d’une musique savante (terme qui mérite un approfondissement ultérieur). Ensuite qu’elle est subdivisée en plusieurs courants. Mais le terme le plus essentiel, selon moi, est à trouver dans la définition anglo-saxonne : the common practice period. Si la précision de facture temporelle est superflue à notre propos, le reste de l’expression décrit mieux à lui seul ce medium fantastique que l’ensemble de ce que nous avons vu précédemment. La musique classique est une mise en forme pratique, un langage artistique bénéficiant d’un code dont les normes permettent une véritable universalité (savante). Les règles ont évolué à travers les époques mais les principes fondamentaux de l’écriture sont invariables et cette concrétisation matérielle est à la base de ce qui en fait la puissance motrice. En d’autres termes, n’importe qui peut apprendre à lire et à écrire de la musique classique. La méthode est tellement solide qu’elle peut s’adapter à tous les changements, à tous les styles, à tous les pays, à tous les âges. C’est bien cet élément qui fait la richesse du medium et c’est en lui que réside la clef de la compréhension de la musique classique en tant qu’art du langage dont le vocabulaire est inépuisable, redoutablement efficace et très polyvalent. Je me baserai sur ce principe pour attaquer plusieurs idées reçues dont souffre cette branche musicale dans les paragraphes suivants.

I) LA MUSIQUE CLASSIQUE, C’EST VIEUX.

Peu importe dans quel sens on comprend la phrase, c’est une ineptie ridicule pour plusieurs raisons et selon différents points de vue. Certes, l’origine historique de la méthode classique remonte à de nombreux siècles, en termes d’écriture de partitions, on compte à partir du 11e siècle, au Moyen-Âge, et dans une acceptation très limitée (liturgique) ; mais cette ancienneté n’en fait pas un vieux mode d’expression pour autant, le théâtre, la poésie ou encore la danse ont été codifiés bien avant cela. On objectera que « vieux » reviendrait plutôt à dire qu’il n’existe plus de musique classique aujourd’hui, auquel cas le terme approprié est mort (comme le latin, ce qui est aussi faux mais ce n’est pas le sujet). Evidemment, rien n’est moins vrai. D’abord la musique classique est extrêmement sollicitée par le public et ce partout de le monde, attirant des foules immenses venant écouter des compositeurs tels que Beethoven (1770-1827), Mozart (1756-1791) ou encore Tchaïkovski (1840-1893) pour reprendre le trio des plus populaires. Ensuite de nombreux artistes, contemporains cette fois, ont véritablement ressuscité la discipline dans le courant post-minimaliste ou encore dans le néobaroque. Il est d’ailleurs saisissant de voir comme la conception de la musique classique en tant que langage révèle son imperméabilité au temps. Comparons un morceau archi-connu de Johann Pachelbel (1653-1706) avec un autre, beaucoup plus récent (2010/2011), écrit par Max Richter (1966). Bien que séparées d’environs 310 ans, bien qu’éloignées dans leurs ambiances respectives, les deux œuvres sont pourvues d’une structure quasi identique tant sur la construction de la mélodie que sur la gestion de celle-ci :

Remarquez à quel point, dans ces morceaux, la mélodie suit un parcours voisin. D’abord une phrase simple, jouée par un nombre restreint d’instruments auxquels s’ajoutent d’autres qui répètent le thème de base en canon d’intensité progressive. Une fois la tension à son maximum obtenue avec cette multiplication, d’autres lignes mélodiques s’ajoutent en contre-point. A mi-parcours la musique plonge dans un murmure sensuel où les notes d’ouverture subissent des variations ornementales puis reprennent, dans le même élan cinétique, une configuration d’échelle progressive selon le même mode que précédemment mais avec des complications d’ordre orchestral et enrichie par de nouveaux segments thématiques, comme une sorte de rime sans fin en escalade, avant d’atteindre une forme de paroxysme sentimental suivi par une conclusion soudainement plus calme, plus sereine, plus aérienne.

Enfin, le nouveau terrain de jeu extrêmement fertile de la musique classique est constitué dans un de ses sous-genres : l’écriture de soundtrack. Cinéma et musique classique ont coexisté depuis la création du 7e art à la fin du XIXe siècle, les compositeurs de la seconde partie du XXe y trouvant un refuge pour, à la fois, s’exprimer en tant qu’artistes (le secteur de la composition « légitime » était bouché et victime d’un élitisme moderniste affligeant) et survivre financièrement, le business filmique étant beaucoup plus lucratif pour eux. Démarche double assurant la postérité à qui décrochera le chef-d’œuvre à mettre en musique ; les soundtracks font souvent office de carte d’identité sonore pour les grands films : une série de notes fonctionnant dès lors en substitut des images. Quel cinéphile a oublié ces bandes originales devenues cultes ? Le Parrain, Titanic, la plupart des dessins animés Disney, Out of Africa, et bien d’autres encore. On rétorquera que la richesse des musiques de films en fait une catégorie musicale à part entière (ce qui se tient dans l’absolu) mais c’est manquer mon propos sur le langage. J’en veux pour preuve deux exemples. Premièrement, une illustration de l’influence directe qu’exerce le passé de la discipline sur la composition cinématographique actuelle : prenez la B.O. du Roi Lion de Hans Zimmer (1957), le classique de 1994 (sans jeu de mots) issu de la figure la plus célèbre des 20-25 dernières années dans le domaine. Les influences sont nombreuses et l’originalité vient de ce mélange de rythmes, d’instruments et de traditions, africaine d’un côté, typiquement européenne de l’autre. Une des scènes les plus poignantes du film voit Simba découvrir le corps inanimé de son père Mufasa. La musique, sublime, déchirante, participe beaucoup à l’impact émotionnel de ce moment (la deuxième partie nous intéresse ici – malgré le génie de la première – ) :

Lorsque j’étais plus jeune, ce passage m’a toujours hanté, à la fois par son essence dramatique (on a tous perdu une figure paternelle), mais surtout par la puissance et la perfection de sa musique qui me semblait extrêmement familière, et ce pour la simple et bonne raison que je l’avais déjà entendue (2:05 en particulier) :

Outre la réplication exacte d’une portion emblématique du morceau de Mozart, Hans Zimmer s’inspire de toute son ambiance ainsi que de son agencement vocal. Cela n’en fait pas un plagiat (délit que le compositeur s’inflige à lui-même beaucoup trop souvent depuis les succès de Inception et The Dark Knight), il s’agit d’un jeu citationnel d’une extrême justesse symbolique, un seul regard aux paroles de l’Ave Verum Corpus permettent de se rendre compte de l’intention artistique de Zimmer qui insiste sur le côté sacrificiel de la scène en reprenant ce passage traduit du latin (en gras la phrase mélodique reprise telle quelle) :

Je vous salue Jésus Vrai corps né de la Vierge Marie

Qui avez vraiment souffert et avez été immolé sur la croix pour l’Homme,

Vous dont le côté transpercé a laissé couler du sang et de l’eau.

Puissions-nous Vous recevoir dans l’heure de la mort.

O doux, O bon, O Jésus fils de Marie. Ainsi soit-il.

Deuxièmement, une rapide comparaison stylistique entre un compositeur du XIXe siècle et une œuvre cinématographique du début du XXIe siècle, insistant sur le fait qu’en langage fort aux règles (relativement) simples, la musique classique voit des artistes frères et des inspirations sans cesse rafraîchies et adaptables ce qui permet un éternel renouvèlement/recommencement du medium au fil des siècles. Ici encore, les extraits sont différents dans leur ton mais les sujets et la conception même de ce que la musique doit accomplir est exactement identique, tout comme, de fait, l’utilisation du langage classique. En réalité, les deux œuvres ont tellement de similitudes qu’elles agissent comme un miroir déformant l’une pour l’autre : Der Ring des Nibelungen par Richard Wagner (1813-1883), un monstre d’art total constitué de 4 opéras ; et The Lord of the Rings par Howard Shore (1946), sans aucun doute l’œuvre musicale/cinématographique la plus monumentale de l’histoire (3 films et plus de 10 heures de musique). Je ne rentrerai pas dans les détails du lien qui unit ces deux œuvres (pour plus d’informations je vous invite à lire mon trio d’articles sur le soundtrack d’Howard Shore qui explore en profondeur la méthode wagnérienne utilisée pour la trilogie), et me contenterai de mentionner la dimension épique recherchée par les deux compositeurs (personne ne pourra me contredire sur ce point) ainsi que la manière d’y parvenir, c’est-à-dire, grâce à l’utilisation des leitmotifs, petits segments de notes accumulés et mélangés les uns aux autres selon une grammaire complexe et gérée dans le temps pour obtenir une sorte de mélodie aux dimensions gigantesques dégageant une puissance et un potentiel d’émotion incomparable. Les extraits que j’ai choisis illustrent comment Wagner et Shore mettent en place cette technique d’écriture (cette spécificité de la langue) pour terminer chacun les premiers chapitres respectifs de leur magnifique travail.

Je voudrais conclure ce volet sur la pérennité sans failles de la musique classique en vous invitant à découvrir l’œuvre fondatrice d’une nouvelle incursion de cette méthode dans un medium on ne peut plus contemporain : le monde du jeu vidéo. Cette discipline est le vivier de prouesses technologiques hallucinantes dont la progression est extrêmement rapide mais plus encore, on voit y naître de nouvelles formes s’approchant plus du film interactif ou, carrément, pour ce cas-ci, de l’expérience métaphysique. Journey, développé par Thatgamecompany, est novateur à de nombreux titres et notamment via son utilisation très précise du mixage sonore, sa partition, composée par Austin Wintory, est la première musique de jeu à avoir été nominée aux Grammy Awards (en 2013) dans la catégorie Best Score Soundtrack for Visual Media. Introduire convenablement ce bijou prendrait une éternité et nous éloignerait du propos mais il n’est pas exclu qu’un nouvel article sorte prochainement sur le sujet pour lui accorder le temps, les explications et la passion qu’il mérite. Pour éviter de réduire mes (ou nos) possibilités pour ce traitement, je ne diffuserai, ici, qu’un (très) court extrait de la bande originale du jeu, à simple titre illustratif.

  II) LA MUSIQUE CLASSIQUE, C’EST TOUJOURS LA MÊME CHOSE.

Pour ce deuxième point je m’attaque à un reproche assez répandu en musique. Que ce soit au sujet de la pop ou du rap ou même (sacrilège) du jazz, les détracteurs aiment à souligner le manque de variété au sein des genres qu’ils attaquent. Si, par exemple, on peut souligner que la pop, le R&B ou l’électro mainstream se répètent à n’en plus finir (les uns sans inspiration copiant les œuvres d’autres artistes plus talentueux) et, de fait, servent la même soupe aux gens pour qu’ils dansent sans réfléchir au détriment des productions plus subtiles et plus « indie » ou tout simplement des grands artistes plagiés ou semi-plagiés qui sont tous mis dans le même sac ; le reproche dirigé à la musique classique paraît totalement absurde. Sont visés principalement, sans doute, la structure formelle des œuvres, rigides c’est vrai dans leur conception, ou encore les arrangements harmonieux qui caractérisent une partie, seulement, de la production classique. Cela trahit surtout un manque effarant de connaissance sur le sujet de la part du grand public alors qu’une simple recherche sur Google suffirait pour dissuader les masses. De nombreux critères permettent de différencier les morceaux entre eux, tous forment des arguments solides en faveur de la richesse esthétique de ce langage artistique. Afin de rester exhaustif et pour plus de clarté, j’ai décidé d’illustrer trois caractéristiques appuyant cette versatilité que je combinerai pour plus d’efficacité rhétorique à l’aide de 5 exemples. Voici ces critères : la période (avec comme limites le baroque et la première moitié du XXe siècle), le pays (dans les confins de la zone européenne) et le genre du morceau. Si on se met à jouer avec ces 3 éléments en les associant de façon aléatoire, on obtient des œuvres extrêmement différentes. L’exercice est simple à réaliser et rien ne vous empêche de créer votre propre groupe de morceaux de la même manière. De mon côté, j’ai obtenu cette distribution (je n’ai pas mis directement les liens dans l’article pour ne pas alourdir une mise en page déjà surchargée, rien qu’un simple copier-coller ne pourrait résoudre facilement pour satisfaire vos oreilles) :

1) un concerto baroque italien : https://www.youtube.com/watch?v=jHZ65S4xE0M

2) une symphonie classique allemande : https://www.youtube.com/watch?v=fxetlIVL-fI

3) un opéra romantique français (2 extraits seulement pour vous épargnez un peu) : https://www.youtube.com/watch?v=73l3ibTu0lc / https://www.youtube.com/watch?v=-vQ_5Y4Qfqo

4) une sonate postromantique russe : https://www.youtube.com/watch?v=DGriftYbwjQ

5) un quatuor à cordes moderne anglais (le lien dirige vers la playlist) : https://www.youtube.com/playlist?list=PL1FDB76E215B6FA2E

Avec ça, on ne fait qu’égratigner la surface du magnifique iceberg constituant la diversité du medium classique mais cela permet déjà de prendre conscience de son amplitude. La variété des sons est immense pour plusieurs raisons : les contextes diffèrent, les instruments impliqués varient énormément dans leur nombre et leurs combinaisons, enfin les compositeurs sont à la fois séparés par le temps (la musique classique évolue en permanence) et par l’espace (à chacun son accent).

III) LA MUSIQUE CLASSIQUE, C’EST 10 MORCEAUX CONNUS.

Plus qu’une critique, nous voici devant un triste constat. La musique classique n’est reconnue, dans une perspective large, que pour une poignée d’œuvres extrêmement célèbres. On peut citer, par exemple, le Requiem de Mozart, le Boléro de Ravel, le Lac des Cygnes de Tchaïkovski ou encore les 4 Saisons de Vivaldi. En soit, leur renommée est tout à fait compréhensible et ne serait pas dérangeante si cela ne reflétait pas une tendance alarmante dans la diffusion artistique générale ; je veux dire par là qu’en cette époque où l’économie s’insinue à l’intérieur de tous les domaines humains, nombre sont ceux qui, au sein même du milieu de la musique classique, tombent, peu à peu, dans un conformisme dangereux pour s’assurer la fidélité des foules et, en conséquence, surjouent les mêmes morceaux encore et encore jusqu’à la lie, et je ne m’aventure même pas sur le terrain des personnes sans talent comme André Rieu qui pensent réunir le plus de monde possible et gagner un maximum d’argent en modifiant les morceaux pour les rendre plus abordables ou plus « hollywoodiens » au lieu de respecter la musique et, par la même, le public. De ce phénomène assez malsain découle en réalité trois axes d’injustices qui doivent, à mon sens, être endiguées au plus vite pour éviter une multiplication de décadences dans le paysage musical (lesquelles pourrissent à peu près tous les arts : on pense aux Marc Lévy ou aux Luc Besson de ce monde et autres pseudo artistes qui roulent un maximum de personnes dans la farine avec de la poudre aux yeux pour se remplir les poches et la panse le plus rapidement possible).

Le premier dommage est porté aux morceaux eux-mêmes. Ils sont tellement connus, tellement performés que cette appartenance au domaine public les fait passer pour acquis. Plus personne ne réfléchit sur ces morceaux, on dit qu’ils sont bons ou on dit : « ah oui classique, je connais, je l’ai trop entendu », on ne perçoit plus les subtilités et pire, on les nie dans une mécanique attendue d’interprétation qui s’éloigne peu à peu de la recherche artistique originale. – (J’en ai, d’ailleurs, partiellement discuté dans mon article les 12 saisons) – Les cas extrêmes voient certaines œuvres réduites à un petit assortiment de notes trop identifiables, tant et si bien que le reste est ignoré par les masses. Qui, parmi vous a écouté, par exemple, Die Walküre de Wagner en entier ? Pourtant tout le monde connaît la Chevauchée des Walkyries, un segment de 4 minutes au sein d’un opéra d’environ 4 heures (sans compter que la chevauché proprement dite est plus longue que l’épisode évoqué), c’est-à-dire 1,6 pourcent de l’œuvre qui est supposé résumer ou englober toutes ses finesses et complexités. Bien au contraire, évidemment. Un exemple plus synthétique permet de réaliser en profondeur ce phénomène et le pourquoi de sa tristesse. Prenons la symphonie no. 5 de Ludwig Van Beethoven (1770-1827). J’entends d’ici les PAPAPAPAAAAAAAAAAMMMMMM. Mais c’est beaucoup plus que ça. Il ne s’agit que de l’ouverture du travail, une partition qui commence par ce simple apparat de 4 notes : sol sol sol mi bémol. Mais le mouvement en lui-même joue à transformer ce thème avec ingénuité, avec panache pourrait-on dire. On voit déjà à quel point résumer cette partie de l’œuvre à sol sol sol mi bémol est idiot, il s’agit d’une forme extrêmement basique, même pas une phrase ; c’est ce que Beethoven en fait dans la CONTINUITÉ du morceau qui est intéressant (la notion soulignée est primordiale et fera l’objet de plus amples discussions dans les articles ultérieurs), ce qui donne au tout fini une dimension plus complexe et parachève l’impact de la musique sur le spectateur. L’essentiel en musique classique tourne autour d’une recherche de progression, la gestation ou la maîtrise dans le temps et dans la succession des notes plus encore que via la construction mélodique pure. A ce jeu de l’assemblage, Beethoven avait du génie, un don très rare qui donne à ses productions un double mouvement antinomique : l’évidence mêlée à l’imprévisibilité. Il surprend toujours mais tout semble logique et même, en un sens, irrévocable. Encore plus absurde est le traitement réservé au reste de la symphonie. Qui, dans le public actuel, en connaît le moindre son ? C’est pourtant essentiel pour apprécier le morceau à sa juste valeur. Comparez l’expérience avec n’importe quel autre art un tant soit peu diégétique. C’est comme connaître les trois premiers chapitres d’un livre par cœur sans jamais en avoir lu le milieu ou la fin. Où est le plaisir là-dedans ? Ça n’a tout simplement aucun sens. Je vous invite donc à profiter de la symphonie no. 5 de Beethoven dans son intégralité :

Laissez-vous surprendre. Après le tumulte impétueux et violent de la première partie, le compositeur enchaîne avec un fabuleux contraste typiquement romantique : une sorte de pause quasi nonchalante faisant la part belle aux glissades harmonieuses et aux mélodies burlesques avec une marche très solennelle et quelques envolées plus lyriques dans une addition aux accents oisifs et comiques à la fois, le tout (comme l’ensemble du morceau selon des angles et des échelles d’une variété ingénieuse) mimant ou modifiant le thème de base, le motif court court court long. Après l’ambiguïté pastorale du deuxième mouvement, on passe à une danse de Cour Royale, comme un banquet imposant entre les différentes parties de l’orchestre qui se répondent en une rapide cavalcade allant des murmures aux grands cris de joie. L’enchaînement avec le dernier mouvement est quasi imperceptible. Celui-ci est construit comme un point culminant sommaire de toute la structure de base apportée en premier lieu par le motif et enrichi par les nouvelles trouvailles amenées ensuite dans les deux parties suivantes, des ajouts soit mélodiques soit harmoniques qui offrent à ces dernières minutes une profondeur dialectique et une dose d’accomplissement typique de Beethoven : le triomphe, une lumière éblouissante. Comme la majorité des partitions du grand homme, la symphonie no. 5 célèbre glorieusement la vie, l’amour et la liberté en dépit des erreurs et du destin. Un message incompréhensible si le spectateur n’en écoute que les premières notes.

La deuxième conséquence néfaste du nombre réduit d’œuvres classiques entrées dans le domaine publique touche directement les compositeurs concernés. Voilà un effet pervers très commun dont beaucoup d’artistes sont les victimes : voir son travail de plusieurs années résumé à quelques morceaux populaires, souvent au détriment de bijoux artistiques totalement ignorés (même par certains spécialistes). J’évoquerai pour cet aspect, très rapidement, 4 compositeurs aux travers de productions sublimes pratiquement oubliées dans un ordre chronologique.

On commence avec le Prêtre Rouge, Antonio Vivaldi (1678-1741) lui-même dont une seule œuvre semble avoir réellement percé sur les 808 que contient le catalogue Ryom-Verzeichnis. En voici une que je trouve particulièrement émouvante et réussie dans sa construction, un témoignage du génie avant-gardiste de Vivaldi (de nombreux passages sont formellement osés pour l’époque) :

L’auteur suivant bénéficie, j’en conviens, d’une meilleure exposition publique, sans doute parce qu’il incarne lui-même la musique classique et carrément le génie artistique en plus d’avoir connu un destin tragique, le genre de détail qui fascine les masses. Je veux, bien sûr, parler de Wolfgang Amadeus Mozart. Mais la plupart des morceaux concernés par cet éclairage, ne sont connus qu’en partie et sont toujours imposants (des symphonies, des opéras, des messes, etc). Et on passe ainsi à côté de pépites moins grandiloquentes qui révèlent, selon moi, encore mieux le don naturel, le flair que Mozart a su développer très tôt pour la composition : entre rigueur formelle et fantaisie esthétique, entre rigidité et sentiments, le tout avec une fluidité inévitablement parfaite. Ecoutez ce talent appliqué au duo de pianos suivant et vous comprendrez mieux l’essentiel de sa méthode :

Nous avons parlé plus longuement de Beethoven, aussi je ne ferai qu’une brève esquisse en ajoutant la fantaisie suivante à votre audiothèque en vous rappelant les mots-clefs : Amour et Liberté. Le duo est ici exploité selon une progression remarquable du piano à l’orchestre avant d’atterrir au milieu d’un chœur. Une dernière précision plus personnelle ; il s’agit là d’un de mes opus préférés :

Notre quatrième compositeur est sans nul doute le plus défavorisé par son propre succès, parlons de Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893). D’abord la plupart de ses œuvres les plus célèbres étaient, en général, celles qu’il ne supportait pas. Par exemple, il aurait brûlé la partition originale de son fameux ballet « Casse-Noisette ». Artiste fascinant, ses compositions plus anciennes et plus intimistes révèlent un talent multiple et dévastateur pour les sentiments. Cette passion dans la musique a toujours attiré les foudres de certaines critiques mal placées confondant de l’émotion pure et violente avec du racolage. Quoi qu’il en soit, profitez de ce morceau original et émouvant comme il se doit :

Le troisième et dernier préjudice de notre constat de départ pour ce chapitre est à mon sens le plus grave et vise la collection interminable des compositeurs laissés pour compte et oubliés. On ne s’imagine même pas à quel point le public est privé ou se prive inconsciemment de découvertes hallucinantes d’une grande variété. Quantifier les artistes injustement méconnus est impossible tant ils sont nombreux. Plus attristant que le sort réservé à ces hommes et à ces femmes, celui de leur travail est regrettable à un autre niveau, plus large et vaste : imaginez toutes ces sonorités, toutes ces émotions en paquets qui disparaissent dans l’ombre des tubes sans idées. Pensez à l’élévation d’âme qui vient à manquer. Pensez à la richesse de ce langage qui permet de réunir les gens de tous horizons et réfléchissez à sa piètre utilisation actuelle dans le monde de la culture. Ces messages qui se perdent. Il est difficile dans ces pages de vous initier à un maximum de nouveautés musicales sans vous perdre dans les méandres d’exemples trop denses ou mal exploités, mal amenés, non contextualisés, etc. Je me limite, avec regret, à trois compositeurs, sélectionnés au hasard tant une méthode est impossible à deviser afin d’appliquer une forme d’ordre rationnel au processus. Et les grands éclairés du jour sont :

Anton Rubinstein (1829-1894), était le concertiste russe le plus réputé du XIXe siècle, au détriment, sans doute, de sa carrière de compositeur. Virtuose du piano, doué d’une technique et d’un flair remarquable pour l’instrument, ses performances étaient connues pour être exténuantes tant il jouait avec intensité. Une qualité qui se retrouve dans ses meilleures productions : les concertos pour piano. L’homme s’est longuement cherché un style personnel au milieu de ses innombrables collègues russes. Son cinquième essai fut le bon. Il s’est trouvé une voix dans cette œuvre assez dantesque par sa longueur et sa difficulté technique. On pourrait presque qualifier ce morceau de symphonie pour piano tant son écriture s’en rapproche dans la complexité syntaxique, les dimensions osées de ses mélodies et sa trajectoire épique. Je pourrais/devrais vous décrire plus en détail cette œuvre et les suivantes mais l’article est déjà long et pas encore terminé donc je me contenterai de vous rediriger vers le morceau lui-même :

Rued Langgard (1893-1952) est le prototype de l’artiste original incompris né au mauvais moment. Dans l’immense fatras de la modernité, il est presque resté anonyme malgré son opulente « discographie », dont pas moins de 16 symphonies. Ce n’est qu’une quinzaine d’années après sa mort que des critiques musicaux danois (son pays d’origine), ont enfin commencé un travail d’analyse de ses particularités. Son talent résidait dans l’orchestration et les arrangements avec une sensibilité outrancière teintée de rigueur nordique. Les catégories sonores qu’il a produites sont assez inclassables : à la fois postromantiques, expressionnistes, avant-gardistes selon certains aspects (l’utilisation d’harmonies extrêmement bizarres) ; ce qui donne à ses œuvres une qualité étrange se déployant dans un répertoire assez unique en grande partie passé sous la trappe que ce soit de son vivant ou après sa mort. Qui parmi vous a déjà entendu ou lu son nom quelque part, je me le demande. Je l’ai découvert moi-même complètement par hasard et je regrette à chaque œuvre de ne pas l’avoir repéré plus tôt dans mes pérégrinations. Voici une fantaisie chorale qui illustre bien le côté indéfinissable et charmant de cet illuminé magistral :

Guillaume Lekeu (1870-1894) est une figure musicale qui me tient à cœur pour plusieurs raisons. D’abord, comme vous l’avez peut-être constaté, le jeune artiste est mort à 24 ans. Ensuite, c’est un compositeur belge (et oui, il y en a). Enfin, on l’a souvent décrit comme l’héritier de Beethoven. Jamais nous ne saurons s’il était voué à la même gloire étant donné sa disparition précoce. Surdoué de la musique et d’une maturité linguistique (musicalement parlant) hallucinante, la tragédie de son existence l’a poursuivie dans l’anonymat auquel il est condamné, même chez nous. Le garçon avait pourtant tout pour plaire au plus grand nombre : de la fraîcheur, de la simplicité, une douceur, un sentimentalisme fragile, des mélodies somptueuses, des intuitions chromatiques rares, enfin toute une série de qualités. Il est stupéfiant de voir à quel point le compositeur, à un si jeune âge, avait un langage propre et très raffiné. Je pense que son « manque » d’extrémité et, évidemment, son répertoire assez bref, l’ont privé de la renommée qu’il mérite. L’œuvre que j’ai choisi pour vous le présenter et une de ses dernières et de ses plus complètes dans l’écriture. C’est un quatuor à corde avec accompagnement piano découpé en deux parties très distinctes dans leurs ambiances et leur structure qui pourtant se complètent à merveille, le tout paré d’une grande élégance. L’émotion est très vive quand on se laisse emporter par le flot des accords virevoltants du premier mouvement, nous submerge dans la profondeur dramatique du second. Le final laisse le spectateur vidé, épuisé mais satisfait. De nouvelles frontières sonores en perspective avec un je ne sais quoi de belgitude concluent notre tour d’horizon, notre croisade contre la sélectivité sectaire et malsaine du populo-rentable et branchouillard en musique classique :

  •  

 IV) LA MUSIQUE CLASSIQUE, C’EST INCOMPREHENSIBLE.

Aux éléments que nous avons listés peu à peu dans notre quête sur la musique classique, correspond une unité pragmatique constituant le nœud du problème de notre recherche de base. La musique classique serait, dans une certaine mesure, devenue complètement incompréhensible ou illisible pour le commun des mortels. Elle serait dès lors réservée à une double élite : les musiciens classiques eux-mêmes qui peuvent déchiffrer une partition et l’étudier ; et les gens riches qui peuvent se permettre de fréquenter les salles de concert avec assiduité sans vraiment enrichir leur environnement musical par d’autres expériences. Partiellement fausse, partiellement vraie, cette assomption soulève la question suivante dans la perspective de Beatchronic : comment transmettre aux autres, singulièrement aux jeunes, ce pan volumineux de musique sans tomber dans les nombreux pièges que la tentative dissimule ? Comment éviter l’excès de zèle ? Le commentaire réducteur ? Comment s’adresser au plus grand nombre possible avec un sujet si techniquement précis ? Comment traduire le langage classique en des termes plus démocratiques ? La réponse imparfaite qui nous est apparue consiste en une entreprise pluri-séquentielle dont une première étape nécessitait d’aborder le concept de front avec en ligne de mire la réduction des zones d’ombres et la suppression des idées reçues qui entourent le style (l’objectif hasardeux du présent article). La prochaine étape de ce parcours consistera à vous présenter les éléments de bases qui font le langage de la musique classique : 1) les termes usuels du lexique analytique pur (simplifiés de façon ludique); et 2) les instruments de l’orchestre et leurs utilisations communes . Cette deuxième vague sera ensuite suivie d’un enseignement sauvage perpétuel à travers de nombreux articles soit thématiques pour explorer une zone importante du medium, soit une comparaison d’œuvres pour rapprocher les expériences sonores entre elles, soit tout simplement le partage éduqué de n’importe quel morceau (légendes revisitées ou bijoux inconnus). La musique classique est un langage merveilleux mais difficile d’accès : l’homme contemporain manque de temps et d’opportunités pour se renseigner et parfaire son écoute ; de plus, le système culturel ambiant ne l’y aide pas du tout, que du contraire. C’est donc le pari de Beatchronic de pouvoir réaliser une partie du travail à la place de nos abonnés mélomanes pour qu’ils puissent profiter pleinement de leurs émotions et de leurs sens. Vous informer pour votre plaisir, vous éclairer pour vous surprendre ; ce sera l’odyssée de notre nouvelle rubrique musique classique. Je terminerai par ce dernier extrait sonore qui me permet d’accomplir une double tâche : inclure le 4e membre de mon club de compositeurs favoris (Johannes Brahms (1833-1897))* et vous abandonner sur une note insouciante et joyeuse. Très chers lecteurs, à bientôt.

* : Les 3 autres ont été cités plus haut. Il s’agit de Beethoven, Tchaïkovski et Mozart.

Opus Cosmique

Pyotr Ilyitch Tchaikovsky (1840-1893) avait une personnalité complexe et fragile. Prompt à la colère, au désespoir, à l’extase, ses changements d’avis répétés et son tempérament impulsif lui ont valu de nombreuses querelles avec ses collègues; habité par l’angoisse, son comportement, parfois irrationnel, a participé, sans doute, au développement de sa musique. Eternel insatisfait, terrorisé par la désaprobation de ses pairs, Tchaikovsky s’est souvent tourné, pendant la seconde partie de sa carrière, vers Nadezhda von Meck (1831-1894), pour soulager son insécurité naturelle. Leur relation est incroyablement passionnante à étudier, von Meck était une grande admiratrice de son oeuvre; et par l’entremise d’un ami commun, le compositeur et pianiste Nikolai Rubinstein (1835-1881), elle entama une correspondance assidue avec Tchaikovsky et lui procura également une aide financière cruciale pour la liberté artistique de ce dernier; leur association dura, en tout, plus de 17 ans. Une bienfaitrice donc, une confidante, Pyotr Ilyitch avait trouvé quelqu’un à qui parler de son travail sans appréhension. Pourtant, malgré leur amitié sincère, très tôt dans leur correspondance, les deux parties décidèrent, d’un commun accord, de ne jamais se rencontrer; veuve, Nadezhda craignait pour sa réputation et n’osait pas se lancer dans une relation aussi intense*; Tchaikovsky, lui, en idéaliste, avait peur d’altérer leurs rapports en faisant le contraire. Si je m’attarde à ce point sur Madame von Meck, c’est en raison du rôle majeur qu’elle occupa dans l’écriture du morceau dont je traite aujourd’hui, le trio pour piano op. 50, composé à Rome entre Décembre 1881 et Avril 1882.  Il est dédié “à la mémoire d’un grand artiste”, à savoir Nikolai Rubinstein, emporté par la tuberculose le 23 Mars 1881. Mais la véritable prémisse de ce morceau remonte encore à l’année précédente. Nadezhda écrivait alors à son protégé : “pourquoi n’écririez-vous pas un trio prochainement ?”. Dans sa réponse, le compositeur soutenait que, pour lui, la combinaison acoustique du violon, du piano et du violoncelle, sans autre accompagnement, était parfaitement incompatible, une véritable torture pour ses oreilles. En dépit de cette impression, l’idée d’un pareil travail s’accrocha à son esprit, et le conduisit progressivement à un volte-face caractéristique de sa nature contradictoire, comme le prouve une autre lettre adressée à von Meck qu’il rédigea le 27 Décembre 1881. Tchaikovsky explique : “Malgré mon antipathie pour une telle association d’instruments, je pense expérimenter ce style musical auquel je n’ai encore jamais touché. J’ai déjà écrit le début d’un trio. Si je compte le finir et s’il s’avérera, par la suite, être un succès, je n’en sais rien mais j’aimerais beaucoup conduire ce que j’ai commencé vers une conclusion heureuse… Je ne vous cacherai pas le grand effort de volonté qu’il m’a fallu pour poser mes idées dans cette forme nouvelle et inhabituelle. Mais je voudrais sincèrement dépasser toutes ces difficultés.”; il devint, peu à peu, complètement absorbé par cet opus, y travaillant sans relâche, avec passion, peaufinant les moindres détails pendant des mois avec l’aide d’autres musiciens et toujours encouragé par l’enthousiasme de Nadezhda von Meck. Une série de performances privées s’enchaînèrent par la suite, notamment lors d’une commémoration au Conservatoire de Moscou, un an après la mort de Rubinstein. Précisons encore, pour l’anecdote, que le morceau fut choisi en 1891 par l’ambassade russe à Washington D.C. (USA) pour une réception en l’honneur de Tchaikovsky qui visitait le continent. Aujourd’hui, ce trio est considéré comme une pièce maîtresse de la musique de chambre et fait l’objet d’incalculables performances extrêmement prestigieuses partout dans le monde. C’est une oeuvre résolument tragique, traditionnellement jouée d’une seule traite ou avec une courte pause, selon les spécifications de l’auteur, ce qui exige de l’endurance et une formidable virtuosité de la part des musiciens. Il n’y a que deux mouvement : le premier s’ouvre sur une mélodie affligée qui croît avec beaucoup de subtilité, de force, et subit toutes sortes de développements le long de vifs échanges entre le piano, le violon et le violoncelle; le second consiste en un thème décliné sur 12 variations originales et poignantes qui culminent avec un final déchirant et lugubre, celui-ci laisse les spectateurs les plus sensibles littéralement anéantis; dans la version live que j’ai choisie, on peut apprécier tout l’effet de ce final dans le silence estomaqué du public, prélude d’une ovation inévitable. Le morceau est pourvu d’une qualité presque symphonique tant le compositeur est parvenu à tirer le maximum des possibiltés sonores de chaque instrument. Il s’étire, se cabre, se métamorphose à l’infini, une transposition musicale de la détresse et de ses nombreux visages. Entre la peine face à l’absence, les souvenirs attendris, la rage envers la fatalité, on s’égare d’un ressenti à l’autre, on est tantôt dévasté, tantôt sous le charme, c’est une cascade de surprises. Les harmonies sont divines, elle offrent une saveur supplémentaire à ce déballage vibrant de sons merveilleux. Ce trio frénétique se distingue enfin par son ambiance intime couplée, par je ne sais quel miracle, à une exploration cosmique de l’imaginaire. Délicat, inspiré, émouvant, les adjectifs s’accumulent et se mélangent pour décrire cette danse féérique, une preuve magistrale parmi d’autres du génie créatif d’un homme qui fut hanté toute sa vie par le doute…
A très vite !
* Petite information complémentaire quant à la nature des relations entre P.I. Tchaikovsky et N. von Meck : aucune ambiguïté ne subsiste à propos d’un amour platonique ou d’un rapport charnel entre les deux correspondants, le compositeur était homosexuel et ce malgré un mariage catastrophique consenti pour éviter les préjudices et surtout les menaces qui pesaient lourdement sur la communauté homosexuelle au 19e siècle en Russie et partout ailleurs.

 

Vers l’infini et au-delà du piano

Je ne pense pas prendre de risques démesurés en énonçant la vérité suivante : tout le monde aime le piano. Il ne dérange pas l’oreille du profane, il nourrit les séries américaines en moments d’émotions et arrache des larmes au cœur des mélomanes. Mais le grand public ne connait pas vraiment le piano, il n’en saisit qu’une infime parcelle de l’ampleur. Avez-vous déjà pensé à l’incroyable potentiel d’un seul instrument de musique ? Comme pour tant de choses, on évite la complexité de ce genre de réflexions, et très vite on catalogue; on dit “c’est beau” et on passe à autre chose.

Pyotr Ilyich Tchaikovsky

Le morceau que j’ai choisi pour mon 1er article musical à proprement parlé se veut donc un pourfendeur des idées reçues. Il s’agit de la sonate pour piano no. 2 de Pyotr Ilyich Tchaikovsky écrite en 1865, le compositeur n’avait alors que 25 ans.

Cette oeuvre que je vais m’employer à décrire le mieux possible explore au long de ces 4 mouvements*, les nombreuses merveilles du piano. Tout commence par quelques notes sèches et lourdes qui vous prennent directement à bras le corps pour mieux vous embarquer dans un flot mélodique intense emprunt d’une grâce phénoménale. La réapparition fréquente de la sécheresse originelle ajoute une profondeur dramatique, une certaine angoisse au charme de l’ensemble, avant de terminer la 1ere partie dans un calme mystérieux voire inquiétant.

Le deuxième mouvement s’ouvre avec une infinie délicatesse mêlée de joie enfantine, et se poursuit dans une ardeur assez solennelle, pour laisser place à la fraîcheur du 3e mouvement. Ce dernier évoque tout simplement l’hiver, les chutes de neiges, et le souvenir mélancolique du soleil. La fin du morceau est particulièrement complexe. Il semblerait que Tchaikovsky ait voulu rassembler toutes les émotions des 3 mouvements précédents pour en faire un tourbillon infernal de notes, de couleurs, de rythmes. L’écoute devient presque un effort physique.

vintage_piano

Toutes les sonorités possibles et imaginables se retrouvent dans ces ultimes minutes pour revenir à la brusquerie du début. Mais le génie du compositeur va plus loin. L’oreille attentive aura en effet l’impression que le morceau continue plusieurs secondes après la dernière note, comme s’il s’agissait d’une vague continue, d’un ras de marée musical.

N’hésitez pas à commenter cet article pour y laisser vos impressions.
A la prochaine !

*On appelle mouvements les parties d’un morceau classique de type instrumental