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Calle 13, rappeurs-poètes de la rue

Calle 13, au-delà d’un groupe portoricain lancé par les deux demi-frères René Pérez (Residente), Eduardo Cabra (Visitante) et leur soeur Ileana Cabra (PG-13), c’est un rap expérimental complet avec des textes consciencieux et une musique finement travaillée à l’aide de 12 musiciens. C’est un rap engagé, qui dénonce, qui se révolte et qui raconte l’Amérique Latine. C’est des choix d’intervenants pertinents, un vol jusqu’en Roumanie pour collaborer avec un musicien particulier (Vernon Foster), jusqu’à Londres pour la voix d’Assange, et des styles musicaux variant du folk irlandais au rock en un seul album. 

“Soy América Latina, un pueblo sin piernas pero que camina”¹

Vous les connaissez peut-être par la chanson “Latinoamérica” (Feat. Totó La Momposina de Colombie, Susana Baca du Pérou & María Rita du Brésil), récompensée en 2011 par le Latin Grammys de la chanson de l’année (ils ont fait l’évènement lors de cette cérémonie en remportant 19 trophées). En cinq minutes, ils parcourent le continent; ses mers, terres, richesses, océans qui le bordent, faisant des références judicieuses aux combats menés par les peuples Latinoaméricains ainsi que les valeurs qu’ils partagent; “l’opération Condor qui envahit mon nid”, “ce peuple ne se noie pas avec les soulèvements, et s’il s’effondre, je le reconstruis”. (Toutes les paroles)

Très attentifs aux thèmes touchant le continent, leur rap est toujours placé sous le signe de la dénonciation, de la sensibilisation, avec des rimes satyriques sur les problèmes sociaux persistants en Amérique Latine. En 2005, ils diffusent en ligne la chanson “Querido FBI“, 30 heures après le décès du leader révolutionnaire portoricain Filiberto Ojeda Ríos (militant pour un Porto Rico libre, indépendant du joug étatsunien). Condamnée pour des incitations à la violence envers les Etats-Unis, le groupe a du démentir les accusations en expliquant que cette virulence faisait simplement suite à la colère d’avoir appris ce tragique décès. “Aujourd’hui j’ai la main destructrice (..), je vais leur donner une raclée”

Profitant de sa situation d’hôte du MTV Latin America Awards en 2009, Residente a utilisé sa voix comme seule arme pour dénoncer la situation à Porto Rico : des manifestations contre le gouverneur Luis Fortuños qui a coupé des milliers d’emplois du gouvernement. Il a été jusqu’à le traiter de “fils de pute”, engendrant une colère généralisée contre le groupe… Un an plus tard il ne s’en excusait pas pour autant : “Je veux dire la vérité, mais sans minimiser le mérite de ce que je dis”. Les excuses viendront plus tard.

En 2010, Residente chante aux côtés de l’illustre Mercedes Sosa “Hay un niño en la calle“, à propos des conditions de vie des enfants laissés-pour-compte dans la rue. “Quand tombe la nuit je dors réveillé, un oeil ouvert un oeil fermé, pour si les ‘tigres’ me crachent une balle, ma vie est comme un cirque mais sans clown”.

La même année, ils sortent l’album “Entren los que querian(entrent ceux qui veulent). La critique est toujours présente, mais cette fois elle s’attaque au capitalisme et à l’impérialisme occidental. Dans “Calma Pueblo” par exemple, ils dénoncent les multinationales “J’use l’ennemi, personne ne me contrôle, je tire sur les gringos et Coca-Cola me sponsorise, dans le panier de fruits je suis le seul pourri, Adidas ne m’utilise pas, j’utilise Adidas. Ma stratégie est différente, j’entre par la sortie, je m’infiltre dans le système et je l’explose de l’intérieur”. Sur le même album, ils passent d’un ton plus calme dans “Muerte en Hawaii” (meurtre à Hawaii) joué au yukulélé, avec un clin d’oeil à feu le grand écrivain Gabriel Garcia Marquez, au titre “El Bailo de los pobres(la danse des pauvres) qui inclut des éléments musicaux plus bollywoodien et du reggaeton. Dans son sujet, la chanson est comparable à “Uptown Girl” de Billy Joel, dans le sens où elle traiterait des désirs de la classe ouvrière.

Lo bueno de ser pobre al final de la jornada es que nadie nos roba porque no tenemos nada. – (Le bon dans le fait d’être pauvre c’est qu’à la fin de la journée personne ne nous vole parce que l’on n’a rien.)
(Bailo de los pobres – Calle 13) 

“My label isn’t Sony, my label is the people”

En 2014, ils reviennent avec un nouvel album qui signe une sorte de rédemption. “Multi Viral” semble plus réfléchi, plus mûr que les anciens, appelant davantage à la révolte et au soulèvement des peuples du monde entier. Dans “Adentro” (Dedans), ils moquent les rappeurs gangsta (un peu ‘bling bling’) qui se prennent pour des gros trafiquants à la tête dure et parlent avec violence dans leurs paroles. Ils leur donnent une leçon en comparant leur situation à celle de plus pauvres qui, s’ils avaient leurs moyens, se paieraient plutôt une éducation. Residente ne s’épargne pas lui-même dans ce rap “moralisateur”, exprimant son profond regret d’avoir insulté Luis Fortuños ou encore d’avoir flambé ses sous (gagnés grâce à ses albums) dans une Mazeratti “qui ne fonctionne déjà plus, mon crédit est baisé, ils ne veulent même plus me servir un café, alors pour pouvoir faire un nouveau payement mensuel, je préfère y aller à pieds” (paroles de “Andentro”).

Avec cet album, il se libèrent du label Sony et créent leur label indépendant, “El Abismo” (l’abîme). Lors de leur tournée pour leur nouvel album, le principe est de délivrer un code digital permettant l’accès gratuit aux chansons de celui-ci. Ils se disent qu’ensuite ces chansons seront téléchargées, et ainsi continuera le concept “Multiviral”…⁴

(Residente, à propos du nom “El Abismo”) It became the nickname for our house on 13th street. Every time someone left stuff in our house, it was gone or broken when they went back to look for it. Then it became a word that we used in our family because it was so large that anytime we went somewhere something was broken…³

Dans leur titre-phare “Multi viral“, dont le clip a été tourné dans les villes palestiniennes de Bethléem et Beit Sahour, on reconnait la voix d’Assange. Ils ont été jusqu’à l’ambassade de l’Equateur à Londres pour l’enregistrer, faisant appel aux internautes à propos de thèmes divers pour former leur chanson. Ils abordent la manipulation des médias, avec des références à “Occupy Wall Street” et “Yo soy 132”.

Le projet pour Residente, c’est de se détacher du groupe afin d’écrire quelques chansons en anglais. Il veut un projet indépendant de Calle 13 car il craint que la plupart des latinoaméricains ne comprennent pas. Il s’avoue également peu confiant à l’idée d’écrire entièrement en anglais, mais il se rassure : “I’m trying. I’m doing it. And maybe i can do it for this year”².

Julian Assange & Calle 13

Julian Assange & Calle 13

“We live in the world that your propaganda made
But where you think you are strong you are weak
Your lies tell us the truth we will use against you
Your secrecy shows us where we will strike
Your weapons reveal your fear for all to see
From Cairo to Quito a new world is forming
The power of people armed with the truth”
(Voix de Julian Assange, dans “Multiviral”)

 

http://www.lacalle13.com/

¹“Je suis l’Amérique Latine, un peuple sans jambes mais qui marche”
² Source : http://soundcheck.wnyc.org/story/calle-13-residente/
³ Source : http://ravedeaf.com/2014/05/23/calle-13-interview/
⁴ Source : http://www.nytimes.com/2014/02/23/arts/music/calle-13-prepares-new-album-multiviral.html